James ▬ 'Cause I'm in too deep. [TERMINE HEHEHE.]

Carroll. Le nom était connu, dans certaines sphères. Pas uniquement à cause de l’auteur d’Alice in Wonderland, bien entendu. La famille Carroll remontait à plusieurs générations de riches entrepreneurs qui avaient fait fortune en Angleterre avant de déménager aux Etats-Unis. Ils aimaient se vanter d’être les descendants dudit Lewis, mais personne n’a jamais vraiment pu le prouver. Une famille matriarcale riche, renommée, à la réputation parfaite. Le mariage d’Esther Gray à John Green, suivi de peu par son accession au rôle de cheffe de famille, annonça la conception de James. Esther ne tomba enceinte qu’après plusieurs années d’essais non-concluants, et le bébé fut très vite vu comme un miracle. Sa mère, traditionaliste, lui choisit, en bonne malade du contrôle, son prénom, hérité d’un arrière-grand-oncle anglais inconnu au bataillon, et son père, amoureux de la littérature, trouva amusant de choisir en deuxième prénom Lewis, histoire que la blague le suive toute sa vie. Couvé, gâté –pourri gâté, n’ayons pas peur de le dire-, protégé dans une cage dorée du reste du monde et traité comme la huitième merveille du monde par tous ceux qui l’entouraient, il était fait pour devenir un adulte insupportablement hautain et prétentieux, persuadé d’être la perfection incarnée. Tout se passait merveilleusement bien. Presque trop bien. Le seul truc qui posa problème pendant un moment fut le développement de son hyperactivité, que ses parents finirent par réguler avec des médicaments, et tout redevint normal. Bref, un temps où dire « je veux un bateau », sans merde ni merci, et se le voir accorder dans les dix minutes avec le sourire, était la norme, il était évident que ça ne pouvait pas aller en s’améliorant.

Alors puisque même chez les riches tout n’est pas composé de licornes et d’arcs-en-ciel, à un moment, tout s’est brisé de tous les côtés. James s’est trouvé une passion pour tout ce qui touchait de près ou de loin à la mort, et un jour, son père l’a surpris en train d’essayer de noyer un escargot. Bon, un escargot de plus ou de moins, soyons sérieux, ce n’était pas très alarmant. Le sourire de plaisir et l’intérêt presque scientifique qu’il portait à l’acte, un peu plus. Au début, le couple ne s’alarma pas outre mesure. Les enfants sont cruels par nature, après tout. Mais quand les chats et chiens des voisins commencèrent à disparaître du jour au lendemain, ils commencèrent à se poser des questions. Aux alentours de ses sept ans, James alla pour la première fois passer un examen de routine chez le psychiatre, en tenant la main de sa mère, qui lui avait promis un voyage en hélicoptère en échange. Le diagnostic tomba comme une fatalité : psychopathie. Pas de celle qui fait les tueurs en série à coups sûrs, mais de celle qui laisse une place à un « peut être ». Refusant d’y croire, la tête de la famille Carroll passa de médecin en médecin, de psychologue en psychiatre, allant jusqu’à consulter les scientifiques les plus renommés, pour que quelqu’un lui dise que son enfant était normal. Mais le diagnostic était toujours le même. Esther et John, qui avaient jusqu’alors gardé la tête haute pour ne rien perturber dans la vie de James, commencèrent à le regarder autrement. Lui-même ne s’en rendit pas compte immédiatement, de cet éclat de peur dans leur regard. Il ne se rendit en fait compte de rien, jusqu’à ce qu’un matin, en descendant prendre son petit-déjeuner, il ne trouve que les serviteurs dans la maison. Alors il attendit sagement. Un jour, puis une semaine, puis un mois, puis un an. Et à chaque fois qu’il demandait, on lui répondait qu’ils étaient en voyage d’affaires. Il refusa de réaliser jusqu’à ses onze ans, se contentant d’être le plus sage possible en attendant, mais quand sa mère l’appela pour lui annoncer le nom de l’établissement d’études secondaires dans lequel il était inscrit, et raccrocha sans rien ajouter, il finit par se faire à l’idée, et son monde s’écroula.

L’avantage, avec James, c’est qu’il a plus facilement tendance à omettre les choses qu’à les laisser l’atteindre trop directement. Ou alors, c’est ce qu’il prétend depuis là, qui sait. Toujours est-il qu’en découvrant la solitude, il découvrit les joies de l’alcool, puis des pilules, puis du sexe opposé, puis de la cocaïne, puis du même sexe, puis des soirées de débauche organisées dans les parties les plus riches de sa ville, et il s’enfonça petit à petit dans cette source de réconfort bien trop souvent sous-estimée. Cette soudaine entrée dans la foule lui permit de développer rapidement une grande sociabilité, merci l’alcool, et il découvrit vite de nombreux avantages à la vie de nuit. Au fil du temps, il apprit même à maîtriser les lendemains, même s’il continuait à vivre en décalé de la plupart des gens, et même s’il ne cachait rien de ses activités nocturnes, réussit à prendre une figure plus ou moins acceptable en société. Les soirées devinrent vite l’endroit où il se sentait le mieux, particulièrement le moment où il était tellement ailleurs qu’il ne savait même plus son nom, et il ne se passa pas une soirée sans qu’il n’apparaisse à un moment. Certains disent qu’il aime juste se détruire à petit feu. La vérité, c’est qu’il a commencé parce qu’il était pas content, et que maintenant, il se souvient plus de ce que ça fait d’être sobre. Alors il continue. Et puis, il fait bien ce qu’il veut, de toute façon. Oui, c’est un peu un gamin capricieux, aussi.

Ceci dit, puisque bien évidemment cette vie ne rimait pas vraiment avec bon élève, et que dans tous les cas, « je suis riche je m’en fous », ses premières années d’études secondaires ne furent pas glorieuses niveau résultats. Il payait des gens, de temps en temps, pour passer les examens à sa place, mais sans mettre un pied en cour, il était évident que quelque chose allait clocher à un moment. Alors sa mère, soucieuse de la réputation qu’il faisait planer sur leur nom, reprit les choses en main, et s’assura qu’il finisse ses études secondaires sans redoubler. Ce fut difficile, au début, mais quand il comprit qu’elle le laisserait faire ce qu’il voulait tant qu’il allait dans son sens, il soupira, et ouvrit un livre. Heureusement, James avait des facilités à enregistrer les choses, même sans les comprendre, alors il se contenta d’aller à quelques cours, et de subir quelques professeurs particuliers, et il eût son diplôme, comme tous les autres. Et puis vint la Monroe University. Ce ne fut pas vraiment une surprise. A vrai dire, James ne pensait même pas continuer ses études, alors l’université importait peu. Mais puisqu’un Carroll ne pouvait pas rester à ne rien faire à la maison, il profita de l’occasion pour changer de ville, et recommencer à zéro à l’autre bout des Etats-Unis, où tout le monde se fichait de ce qu’il faisait. Assez naturellement, il se tourna vers la communication, dans le seul but de bidouiller des nouvelles technologies et découvrir de nouvelles manières de passer le temps avec des inconnus, puis le marketing évènementiel,  pour pouvoir diriger un groupe de gens en organisant des trucs hors de prix. Juste parce que c’est amusant. Oui. Il s’amuse à vendre de la drogue aussi, parfois. Pas pour l’argent, juste pour le plaisir de dire « parfois je deale ». James, c’est pas la personne la plus intelligente du monde. Il se met dans des situations impossibles tout le temps, frôle la mort au moins une fois par jour, et a souvent le mot qui tue sans même le vouloir. Mais bon … c’est un bon gars. On va dire. Probablement.

Bref, James est un type immature, hyperactif, psychopathe, qui s’amuse à chercher où ça fait mal pour appuyer et tourner le couteau dans la plaie, qui met un point d’honneur à ce que tout le monde le remarque, en bien ou en mal, qui se lasse d’un truc qu’il voulait au moment même où il est dans ses mains, et que vous ne verrez jamais totalement sobre de toute substance, même un matin d’examen. Mais il ne mord pas. Il mordille, juste, mais c’est un tic nerveux, c’est pas de sa faute.