I Don't Give A Damn About My Reputation ► Charlie Daniels [Finish]

No. David Daniels n’avait jamais pris une aussi grosse claque de sa vie. Le refus d’une demande en mariage, il n’y avait rien de plus embarrassant et douloureux. Le voilà ébranlé, la rupture de son couple semblait si proche désormais, sa petite bulle de confort n’allait pas tarder à éclater et la chute allait être rude. Sans elle, il n’était rien, il n’avait pas d’autres mots pour l’expliquer. Ah quoi bon continuer à grimper les échelons si elle n’était pas là pour le regarder réussir ? La vie avait soudainement un goût amer au fond de sa gorge. Il était foutu. Ce fut donc, avec une anxiété à son paroxysme, qu’il franchit le grillage qui menait à leur petite maison de banlieue londonienne. Il souhaitait déménager, mais elle tenait bien trop à cette fichue baraque pour l’abandonner. Sa main se posa sur la poignée, qu’il tourna doucement, son corps tremblait. La gorge nouée et le cœur battant, il fit l’effort d’esquisser un pas. A peine eut-il posé le pied au sol qu’il la vit. Elle était là. Beth. Beth Williams, la femme de sa vie. Elle pleurait et ses bras entouraient sa taille comme si elle cherchait un refuge. Il peina à articuler son prénom, il était prêt à tout pour rester, mais les mots se bousculèrent pour mieux se coincer dans sa gorge. Pourquoi souriait-elle ? « Je suis enceinte. »

Charlie Daniels voit ainsi le monde. Daniels, un nom qui a subit tellement de moqueries avant de sortir de l’ombre. David, un ancien voyou de la jeunesse londonienne, a sauvé l’honneur de sa famille en obtenant une bourse à la fin de ses années lycée, se sauvant de ce monde qui n’a jamais été le sien. Il est désormais avocat et fait la joie de sa petite-amie Beth. Cette dernière a fui à Londres pour échapper à ses parents qui souhaitent la voir doctoresse. Elle aime son enfant. David, quant à lui, reste mitigé sur le sujet. Il aime profondément Beth, mais il ne suffit pas d’aimer une femme pour être un bon père.

Beth déposa Charlie au sol sans oublier de lui dire qu’elle devait rester sage. La petite tête blonde hocha vivement la tête et tendit les bras pour une dernière tendre étreinte. Sa mère partie, elle s’empressa de se lever du canapé pour courir, telle une sauvage, dans le salon. Son rire résonna dans la pièce, couvrant la voix animée de son père. Davide était à son bureau, le téléphone greffé à l’oreille. Le travail, il n’avait jamais le temps. C’était ce qu’il disait toujours à sa fille. Mais il était difficile de raisonner une enfant de cinq petites années. Cette jeune aventurière se risqua à approcher le paternel, ses doigts agrippèrent le tissu de son pantalon pour tirer dessus. Ses yeux joyeux se levèrent pour rencontre le visage concentré de son père. Il fallait absolument attirer son attention, c’était son rôle de prendre soin d’elle après tout, alors elle tira plus fort et joignit sa voix au geste. Les minutes passèrent et les sourcils se froncèrent, la voix se durcit et le poing se serra. Il essaya de la repousser de son pied, mais elle y resta accrochée comme à une bouée. Le tissu se tendit une nouvelle fois et ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. La claque résonna, le temps vint à se figer, les regards se rencontrèrent. Le fossé se creusa.

Il n’y a plus de doutes là-dessus, David n’a jamais aimé Charlie et ne l’aimera jamais. Tout ce qu’il souhaite, c’est que sa femme reste à ses côtés, cette môme n’est qu’ennui. Alors pourquoi faire la bêtise d’en avoir un second ? Peut-être pour commencer un tout nouveau départ, qui sait ? Les gens peuvent être parfois plus stupides que l’on ne le pense. Sam. Le nouveau-né s’appelle Sam, et c’est une très jolie petite fille. Intelligente et patiente, elle fait la fierté de David qui la garde sous son aile à chaque temps libre qu’il possède. Première de sa classe, il n’y a rien de plus cliché que cette fille. Charlie la déteste. Hautaine avec tout le monde, elle adopte le caractère de son père, sans se poser de questions, il est le parfait exemple de réussite après tout ? Et il l’aime, elle. Charlie ? Tout le monde s’en fout, c’est juste l’enfant accidentel. Bonjour la bonne ambiance de famille. Le seul moyen de savoir si elle est encore dans la maison, c’est de tendre l’ordre et de percevoir le bruit de sa guitare. La petite brunette en joue assez fréquemment pour ennuyer son père, mais surtout parce qu’elle adore ça.

Charlie se passa une main dans les cheveux avant de lever son regard vers sa fenêtre de chambre. La lumière y était toujours éteinte et la maison semblait endormie. Un sourire victorieux étira ses lèvres alors qu’elle balançait la bouteille d’alcool dans la poubelle du voisin. D’un geste rapide, elle retira ses chaussures à talons qui lui meurtrissaient les pieds, se glissant silencieusement dans le jardin. Son cœur battait follement dans sa poitrine et son ivresse lui donnait envie de rire, elle posa une main sur sa bouche et progressa dans la pelouse impeccablement tondue. Une fois arrivée à bon port, elle profita de sa souplesse pour grimper le long de la gouttière, jurant à chaque fois qu’un bruit trop significatif s’échappait de ce tube de plastique. Si elle se faisait attraper, elle pouvait dire adieu à sa liberté. Et la voilà dans la chambre, presque intacte si on ignorait le collant complètement déchiré. Charlie posa ses chaussures, s’étirant de tout son long. Sortir le soir était désormais une habitude qu’elle avait prise pour éviter de traîner avec sa famille trop souvent. Elle n’en pouvait plus des commentaires sur sa petite sœur. Et puis, c’était un très bon moyen de voir de nouvelles têtes et de se défouler. Elle avait de la chance d’avoir un cousin compréhensif qui l’appréciait. Ses doigts cherchèrent l’interrupteur sur le mur. Ils sentirent les reliures des nombreux livres qui remplissaient sa bibliothèque. Son troisème passe-temps après la guitare et l’alcool. Mais une voix grave la figea dans son geste. Son père. Son père était ici ! Assis sur son lit, la mine furieuse. « Tu es mineure Charlie. Et tu as cours demain, comment oses-tu sortir à cette heure et dans cet accoutrement ? » Elle ne lui répondit que par un haussement de sourcils, ce qui lui valut un bon plaquage contre le mur. « Ta mère était morte d’inquiétude. Tu ne peux pas être normal deux minutes ? » Charlie ricana avant de fusiller du regard « Normal ? Ta définition de normal ? Etre coincé et s’enfermer dans un internat. C’est comme ça que t’aime Sam ? Tu l’enfermes ? » La gifle fut inévitable.  

Charlie n’est pas la seule à ne plus pouvoir supporter l’humeur massacrante de David. Il faut croire que l’amour ne dure qu’un temps. Beth le quitte et cherche un moyen d’échapper à cette ambiance pesante. Hélas, sa fille est obligée de rester quelques mois avec son père le temps qu’elle trouve une situation plus convenable. Pour évacuer toute cette pression, elle se met à écrire dans des carnets, appréciant le travail de l’écriture. Elle transforme ce qu’elle veut à son avantage, modifie, crée, détruit. Il règne une véritable guerre dans la maison, hurlements, insultes, vaisselle cassée. Charlie finit par être à bout, surtout lorsque son père décidé –par vengeance- d’écraser le chien. Sparky, le meilleure ami de Charlie. Cette dernière le vit très mal et la rupture se fait, impossible de revenir en arrière. Elle ne travaille plus en cours, passe son temps à traîner dans des soirées pour éviter de rentrer chez elle. Personne ne croit à son histoire, tout le monde pense qu’elle invente pour se donner un genre. Cette guerre continue sur deux longues années et prend fin lorsque Charlie atteint ses dix-sept ans.

« Sacra…quoi ? De quoi tu parles maman ? On va pas quitter l’Angleterre ? » Sa mère lui fit comprendre de se taire et de faire sa valise, chose que Charlie ne voulait absolument pas. Hors de questions qu’elle parte aux Etats-Unis, tous ses amis se trouvaient à Londres, elle n’allait pas tout quitter sur un coup de tête ! « Sacramento. Tes grands-parents y vivent et sont prêts à nous accueillir. Tu verras, on t’a trouvé un bon lycée. » Beth n’avait jamais cessé d’être optimiste ce qui pouvait, parfois, énervée sa fille. Les valises furent faîtes, les papiers avaient remplis depuis quelques mois maintenant, ne restait plus qu’à prendre l’avion. Charlie finit par comprendre que sa mère lui offrait un nouveau départ.

Le lycée dans lequel ait envoyé Charlie a de quoi être perturbant, mais beaucoup plus sympa que son ancien. Finis les uniformes, elle peut enfin s’habiller comme bon lui semble. Sa crinière blonde toujours lâchée tombe en abondance sur ses épaules, ses vêtements amples dissimulent un corps fin et musclé. Son cousin a été son coach pendant deux ans avant qu’il ne parte pour Dublin. Ses yeux chocolat ne reflètent plus la haine envers le monde, mais quelque chose de plus joueur, de plus optimiste. Impossible pour elle d’être discrète avec son un mètre soixante-seize. Elle se fait rapidement la réputation de la riche britannique qui juge son monde dans son coin, alors qu’elle est seulement trop timide pour s’adresser correctement aux personnes qu’elle rencontre. Cette timidité l’oblige à observer les personnes de loin, et elle apprécie cette petite activité. Elle apprend des choses sans devoir parler à l’individu en question. Elle a l’impression d’avoir plus de cartes en mains. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle se sent exclue, elle commence sur un nouveau pied. Elle reste bonne élève en général, mais pas suffisamment pour choisir l’université de son choix. Eh oui, on n'efface pas le passé aussi facilement, son dossier est un champ de mines. Personne ne veut d'une fille qui s'endort en cours et qui se bat dans les couloirs parce qu'on vient d'insulter sa famille. Ce n'est pas de sa faute s'il était impossible de dormir quand son père lui beuglait dessus à longueur de journée, que sa sœur jouait du trombone jusqu'à que les voisins hurlent contre les murs. Charlie regrette amèrement ses actes passés, mais ne peut rien faire pour les faire disparaître. Les refus arrivent un par un.  brisant son coeur morceau par morceau. Toujours cette même excuse: Une élève qui semble vouloir progresser certes, mais qui n'y met aucun effort et qui possède un comportement incorrect envers ses enseignants et ses camarades. Pourtant sa mère dit qu'il lui reste une solution. Lorsqu’elle voit le nom de Monroe, elle se fige un instant et se tourne doucement vers sa mère. Elle n’obtient qu’un haussement d’épaules. A l’aventure je suppose.

La première année était passée et Charlie ne s’était jamais sentie aussi bien de toute sa vie. Elle s’était retirée le balai qu’elle avait dans l’arrière-train pour enfin vivre sa vie comme elle le souhaitait. Fini la petite timide, elle devint une toute autre personne. Libérée de toute obligation et d’oppression familiale, elle s’épanouissait enfin dans un environnement qui lui semblait beaucoup moins exigeant et hostile. La belle vie quoi. Ce n’était pas pour autant qu’elle abandonne l’idée des fêtes, elle y était trop accro pour arrêter, c’était sa pause. Et puis franchement, elle travaillait oui, mais ce n’était pas le plus intéressant. Elle préférait légèrement profiter de sa vie, plutôt que de s’enfermer dans un coin à réviser. Elle n’allait pas devenir comme son père, fallait pas déconner quoi. Le masochisme c’était pas trop son truc.