Sujet: La Première Pluie || Ayanna Lun 10 Oct - 11:28
La première pluie
Ayanna & Capucine
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Septembre 2016 - 15h13
Chaque année, ce qui marque à mon sens la réelle rentrée, ce n’est pas le début des cours : c’est la première pluie. Elle évoque une certaine mélancolie qui donne envie de détourner de la fenêtre maculée de gouttes d’eau pour faire tristement face à ses photos de vacances qu’on semble soudain laisser si loin derrière soi. Je n’ai pas de photos de vacances, mais l’idée est là. Le début des cours c’est cette averse dégueulasse ornée d’un orage dont les gouttes se fracassent si fort contre les vitres qu’on ne s’entend plus penser, c’est l’humidité lourde qui plane dans l’air, ce sont les élèves qui se pressent à l’intérieur et qui font un bruit pas possible, c’est l’automne, c’est la rentrée, c’est le début de l’enfer. C’est là que j’ai la chance de posséder une concentration exceptionnelle lorsqu’il s’agit de me plonger dans une occupation prenante. A partir du moment où mes yeux s’accrochent aux lignes de code, plus rien d’autre n’existe que la suite de caractères qui forme une chaîne devant mes yeux, sur ce fond du logiciel que j’ai foncé pour ne pas me niquer les yeux à coup de noir sur blanc à longueur de journée. Le clapotis de mes doigts sur le clavier est une averse à sa manière, déchaînement de lettres et de chiffres que je n’efface que rarement tandis que je noircis de plus en plus l’écran de l’ordinateur de tous ces caractères d’un geste avide et décidé. Je ne parais pas particulièrement heureuse, mais je le suis ; je suis dans mon monde. Je ne sais même pas si un tremblement de terre serait capable de me tirer de mon envolée d’inspiration sur ce qui n’est au final qu’un petit mètre carré de texture pour le jeu que je suis en train de développer.
Les gens vont et viennent dans l’espace détente mais moi j’y suis depuis plusieurs heures, je suis le poteau qui reste, qui ne bouge pas, une sorte de pilier sans lequel la pièce, secouée par la tempête qui fait rage au dehors, serait presque capable de s’écrouler. Quand je relève la tête de temps en temps, je remarque que l’espace s’est vidé, ou rempli, mais en tout cas que ce ne sont plus les mêmes personnes ; et j’ai beau ne pas avoir de casque sur les oreilles, je ne les ai absolument pas entendu venir ou repartir. Mais au fond qu’importe, je ne connais pas grand monde et je ne donne pas spécialement l’envie de m’aborder, ce qui entre nous m’arrange plutôt pas mal, parce que rappelons le, je suis une femme très occupée. Plusieurs heures et des milliers de lignes plus tard, je termine ma feuille de code, et me redresse pour m’étirer dans un craquement d’os. Je croise le regard de quelqu’un que je sentais sur mon épaule depuis tout à l’heure et que visiblement, je n’avais pas rêvé.
« Quoi ? » que je demande, aussi tendre qu’à l’ordinaire.
Ma question est ponctuée d’un grommellement venu du fin fond de mon estomac. Ah oui, détail notable à préciser, dont je ne me rappelle jamais assez : quand je suis prise par le boulot, j’oublie de bouffer. Je me disais bien que j’avais zappé quelque chose.
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Sujet: Re: La Première Pluie || Ayanna Mer 12 Oct - 22:40
La première pluie
capucine & ayanna
La pluie frappe les vitres à une vitesse presque amusante. On jugerait les coups de reins de James lors de nos rencontres : la même violence. La même brutalité. Mais je me détourne très vite de ce spectacle qui m'arrache malgré moi un sourire froid et sans âme, pour me concentrer sur la voix du professeur qui déverse sur nous son savoir sans se soucier un instant des difficultés de son cours. Des difficultés pour les autres, pas pour moi. Ses explications glissent sur moi comme les gouttes de pluie glissent sur le verre, et je les absorbe comme si ma vie entière en dépendait. Du coin de l’œil, je surveille Silver, guettant un signe de malaise, d'incompréhension, de n'importe quoi qui pourrait me faire comprendre qu'il est en difficulté. Mais je ne vois que son agaçant visage confiant. Il est mon rival de cette année. Et je n'aime pas avoir de rivaux. Ma mâchoire se serre malgré moi, et les images de son crâne éclaté contre un mur commencent à être très nettes dans mon esprit. Alors je ferme les yeux. Quelques secondes. Pour faire descendre la colère qui menace de s'échapper. Ne pas faire de crise. Je n'ai pas le droit à la moindre erreur. C'est de ma scolarité dont il s'agit.
La sonnerie nous libère, laissant les plus stupides d'entre nous sortir à une vitesse ahurissante de l'amphithéâtre. Pour ma part, je prend tout mon temps, attendant que le dernier de mes camarades ai quitté la pièce. Je marque mon territoire. Les salles de cours sont à moi. Quelques regards perplexes me frôlent, que je soutiens froidement. Bande d'abrutis congénitaux. Mon visage ne montre aucune émotion, et mes émotions se limitent à la colère. Je crois que je ne suis pas très loin d'une crise. Je crois qu'il faudra que je trouve James pour qu'il fasse redescendre cette pression accumulée en me prenant pour sa poupée gonflable. Je crois que c'est une bonne idée. Décidée, mes pas commencent à me porter vers la sortie. Il est certainement dans sa villa, à l'heure actuelle. Probablement défoncé, comme d'habitude. Il a une routine consternante, pour quelqu'un qui se veut sauvage et rebelle. Fatalement, je passe devant l'espace détente. Je n'ai aucune intention préalable de m'y arrêter, mais deux étudiants en sortent, me bousculent, me font serrer la mâchoire, ne me voient même pas. « … elle a l'air cinglée la présidente des Thinking Different. En même temps, fallait pas attendre grand chose d'une geek. » Mon regard, vide et insistant, se pose sur eux. Ils ont une moue de dégoût. « Qu'est-ce que t'as, Freak ? » Je hausse les épaules, ne relève même pas le surnom, et entre dans l'espace détente.
Je ne peux pas vraiment la louper. La blonde, derrière son pc, concentrée comme si l'avenir du monde était entre ses doigts squelettiques occupés à martyriser le pauvre clavier de son ordinateur. Elle n'a que l'air d'une fille passionnée. Je ne comprend pas la réflexion des deux imbéciles notoires. Et je m'approche d'elle, visiblement aussi transparente à ses yeux que si j'étais faite de fumée. Alors je reste là, immobile. Je l'observe avec une attention toute particulière. Je la détaille. Je détaille son écran. Mon cerveau se met à travailler, à essayer de comprendre la logique de ce que je vois. Et je fini par comprendre. La logique des suites, la logique de ce qu'elle fait. Et l'infime erreur qui se glisse entre ses doigts fins. Je m'approche. Elle s'étire. J'existe enfin à ses yeux, car elle pose le regard sur moi. « Quoi ? » Son ventre grogne, et un rire - ni amusé, ni particulièrement chaleureux, juste à peine mécanique et rouillé - m'échappe, et je cherche une barre de chocolat dans mon sac avant de la poser devant elle. Et je montre l'écran. « Il y a une suite qui n'est pas logique. » Voix plate, sans expression, sans sonorité. Juste une voix qui parle et s'élève. « Je crois. Je n'en suis pas sûre. Mais c'est illogique par rapport au reste, alors j'imagine que c'est une erreur. » Je ne cherche pas à la rabaisser. Je ne cherche pas non plus à la fâcher. Je cherche juste à comprendre si j'ai saisi la bonne logique. Alors je m'approche de l'écran, saisit la souris, ne fait pas attention à la réaction qu'elle peut bien avoir, et lui met la supposée faute sous les yeux.
« Là, tu vois. C'est illogique. Ça devrait être... » sans vraiment d'assurance, mes doigts viennent battre le clavier, pour remplacer l'erreur par quelque chose de correct. « … probablement ça. »
electric bird.
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Sujet: Re: La Première Pluie || Ayanna Dim 16 Oct - 8:11
C’est comme ça qu’elle dit bonjour ? Enfin, je ne peux pas lui en vouloir ; je ne l’ai pas saluée de la manière la plus polie qui soit, c’est comme ça qu’on voit que je ne suis pas si sociable. Ce n’est pas dans le fait de se retrouver dans un endroit plein de monde pendant plusieurs heures qui fait qu’on l’est, c’est lorsqu’on interagit avec les autres. Moi, je préfère interagir avec les autres à travers un écran d’ordinateur, ça me permet de conserver mon envie d’encastrer leur gueule dans un mur s’ils m’agacent au rang de fantasme, et de ne pas la mettre en pratique histoire d’avoir des gros problèmes – enfin peut-être que si je m’attirais des ennuis, j’attirerais aussi l’attention de mes parents, wouhou. Elle interrompt cependant mon étirement dans un rire et je cesse de la considérer comme un espèce de robot sorti de mon imagination – ou pas d’ailleurs, on n’arrête plus le progrès après tout ; peut-être qu’elle va sortir de grandes ailes et partir en volant – pour déposer une barre sur la table d’un truc qui semble se manger. Ca ressemble aux cochonneries dont je m’empiffre moi-même parce que je ne mange pas de manière équilibrée quand je suis occupée ; pas le temps de me faire à bouffer parce que d’autres priorités. Je relève les yeux sur elle. Le rire s’est envolé comme si elle ne l’avait jamais exhalé, on dirait un PNJ programmé.
C’est lorsqu’elle pose ses yeux sur l’écran de mon ordinateur que les choses deviennent intéressantes. Tout d’abord, je me crispe par réflexe : qu’on regarde par dessus mon épaule est à peu près aussi agréable que de se faire tirer le col du tee-shirt par un inconnu pour regarder vos seins, c’est une violation d’intimité qui donne envie de mettre des pains dans la gueule vous voyez. Et je m’apprête à l’envoyer paître d’une remarque cinglante lorsque les mots s’élèvent de ses lèvres que je regarde bouger, soudainement hypnotisée : mais elle PARLE en plus ! Mes doigts se dirigent mécaniquement non pas vers mon clavier, mais vers la barre qu’elle a déposée sur la table, et j’en déchire l’emballage d’un claquement de canines pour dévoiler la nourriture que j’engouffre sans grâce dans ma cavité buccale hostile. Le dernier mot de sa phrase me fait tressaillir sans pour autant que je ne réfléchisse violemment : ma qualité d’erreur au sens strict du terme a été confirmée à partir du moment où j’ai été admise ici, alors… Mes yeux suivent les mouvements de ses doigts. Elle a de la chance que je sois trop occupée à becter pour l’empêcher de toucher mon bébé. Elle a une sorte d’insolence pacifique et d’indifférence glaciale qui me saisit, soudainement. Quand je la vois se redresser, mastiquant ma barre l’air songeur, j’ai l’impression qu’elle va s’envoler comme un courant d’air.
« Hm... »
Je me tourne vers l’écran de l’ordinateur avant d’appuyer sur la touche raccourci correspondante au lancement de la suite. C’est un moment très palpitant parce que c’est celui où le logiciel se lance et détermine si t’as réussi magistralement ou si tu t’es lamentablement plantée. Le pattern se lance, les textures apparaissent et parmi elles, le petit personnage, PNJ parmi tant d’autres, que j’essaie de programmer depuis ce matin. Et il avance, selon la suite précise que j’ai décrite mais surtout, il ne recommence pas bêtement son pattern ; il se retourne pour l’opérer dans l’autre sens, ce que je n’avais réussi à faire que par chance jusqu’à présent.
« Effectivement. » Je termine de mâcher, étonnée, pour diriger mes yeux cernés de charbon vers elle tout en prononçant une phrase compréhensible. « C’est une suite extrêmement compliquée, tu es en première année tout au plus : comment tu as appris ça ? »
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Sujet: Re: La Première Pluie || Ayanna Mar 25 Oct - 11:54
La première pluie
capucine & ayanna
La logique, c'est ce qui fait correctement tourner le monde. Les chiffres sont logiques. Et les suites de chiffres répondent à des critères de logique élémentaire, qu'il faut simplement comprendre. Je crois que la programmation fonctionne comme ça. Le grizzly qui me sert d'interlocuteur, et qui m'est tout à fait sympathique même si mon but premier n'est pas de me faire des amis, a certainement dû se perdre quelque part dans les tréfonds de la logique, sans réussir à en émerger.
Mais je ne peux pas nier qu'elle soit intelligente ; les gens les plus asociaux le sont souvent, c'est une généralité qui peut s'étudier et se comprendre par le fait que plus quelqu'un est marginal, plus cette personne a des capacités intellectuelles hors normes. Mais en l'occurrence, le grizzly s'est trompé. Et je n'aime pas les erreurs. Elles me mettent mal à l'aise. Si je ne l'avais pas corrigé, j'y aurais pensé pendant des jours et des jours. Je corrige, et elle lance ce qu'elle a à lancer. Je vois un bonhomme vide faire des actions, et mon sourcils s'arque légèrement de curiosité. C'est toute la suite logique de tout à l'heure qui a réussi à créer ça ?
Elle tourne le visage vers moi, et je plante mon regard vide d'expression dans le sien beaucoup trop soutenu par tout le noir autour de ses globes oculaires. Et je hausse les épaules. « C'est de la logique. » Je n'ai pas d'autre explication. « Il y avait une faute dans la suite logique, ça ne pouvait pas fonctionner et ce n'était pas rationnel. » Je hausse les épaules à nouveau. « Il fallait juste observer ton travail dans sa globalité pour s'en rendre compte. Par rapport au reste, il y avait quelque chose qui clochait. Donc, il fallait réparer ce qui n'allait pas. »
Je fronce légèrement les sourcils, avant de me mordiller la lèvre. « A quoi ça sert ? Simplement à faire marcher des petits bonhommes ? » Je n'ai découvert le monde du jeu vidéo que très récemment. Mais je n'arrive pas à faire le parallèle entre ça et ce que j'ai vu à l'écran. « Tu veux bien m'expliquer, ou tu ne préfères pas ? J'aimerai bien savoir, mais je peux aussi partir. Je m'en moque. » Toujours ce même ton neutre teinté d'une froideur que personne ne pourrait imiter. Je ressens un peu. De la curiosité. Parce que cette conversation fait travailler mon cerveau, et que la connaissance est une chose qui est capable de m'animer...
Mais le grizzly n'est pas sociable. Peut-être même vais-je l'appeler le panda, en référence à son maquillage. Je ne sais pas encore. J'espère simplement que le grizzly-panda acceptera de m'expliquer ce que je vois à l'écran...