La musique me trotte encore dans la tête, sans jamais vouloir en sortir. Étendue sur la plage, c'est le froid qui me réveille et qui me force à me retourner pour essayer vainement de rechercher un peu de chaleur. Je me heurte à un corps, et je laisse ma main lui courir dessus. Une poitrine généreuse s'offre à ma paume, et je ne peux pas m'empêcher de sourire légèrement en me redressant. Elle est jolie, c'est un fait, et je me rappelle des détails de la soirée de la veille en riant légèrement. Jolie, mais pas nécessairement très douée de ses mains, et c'est sans vraiment de remords que je l'abandonne à son sommeil en prenant juste soin de remonter une petite couverture sur son corps. Et, déjà, je me détourne d'elle pour chercher du regard une autre personne. Celui qui m'a accompagnée dans ce week-end absolument dingue, celui que je considère aujourd'hui pleinement comme le meilleur des meilleurs amis... Nous ne sommes pas si nombreux, sur la plage, beaucoup se lèvent déjà par crainte des autorités. Nous savons que nous devrions pas être là, mais la plage était beaucoup trop tentante... Et puis, mon regard s'accroche au corps inerte d'un blond que je reconnaîtrais entre mille. James, encore plongé dans son sommeil, le bras autour de la taille d'une... pétasse que je ne connais même pas ! Ma mâchoire se serre avant même que je ne m'en rende réellement compte ; cette vision m'insupporte totalement. Et je sais pertinemment que c'est injuste, que je ne devrais pas avoir cette réaction... mais c'est bien plus fort que moi.
M'armant d'une bouteille d'eau qui traîne par là, c'est à grand pas que je m'approche de James et de sa conquête. Elle est jolie, il faut bien lui reconnaître ça, même si j'aurais préféré qu'elle soit laide à en crever. Brune, elle me ressemble même un peu, et ce fait ne fait qu'accentuer ma colère. J'arrive assez vite à leur niveau, et plus en colère que jamais, je déverse le contenu de la bouteille sur le visage de James, en éclaboussant au passage l'inconnue qui se réveille en grommelant des trucs que je ne comprends pas. « Oh la ferme, t'es juste là parce qu'il t'as sauté, alors fais-moi plaisir, et dégage. » Elle ouvre et referme la bouche, me regarde sans trop comprendre et je sens la colère monter encore d'un cran. « Sérieusement, dégage. Il ne se rappelle même plus de ton prénom. » Je la vois regarder James, et je me retiens sérieusement d'attraper cette fille par les cheveux pour la traîner plus loin. Elle me regarde encore, et se heurte à un regard d'une froideur à toute épreuve. Nous nous fixons comme ça, avant qu'elle ne se décide enfin à prendre ses affaires et à partir, en m'insultant copieusement au passage. Mais je ne lui accorde plus la moindre intention, mon regard se braque sur James que je secoue pour finir de le sortir de son sommeil.
« T'ES VRAIMENT UN PUTAIN DE... » les mots s'entrechoquent dans mon esprit, mais meurent avant même d'avoir franchi mes lèvres, et je serre encore davantage la mâchoire. « ... de con, voilà ! Sérieux ! Elle était même pas jolie, putain ! C'est quoi ton problème ?! » J'ai envie de le frapper, mais je préfère m'éloigner de quelques pas, histoire de ne pas lui mettre une droite qu'il ne mérite même pas – j'ai au moins conscience de ça...
Le mieux, dans les lendemains de soirée, c’est quand on est réveillé doucement par quelqu’un qu’on aime, avec un café à la main, qui chuchote, n’est ce pas ? Quand ça arrive, les rares fois où ça arrive, il faut en profiter. Particulièrement quand votre meilleure amie s’appelle Chamya Miller, et que sa grande passion dans la vie, c’est d’être totalement imprévisible. Même un lendemain de soirée. Alors je dois avouer qu’en me prenant l’intégralité d’une bouteille d’eau sur la gueule, j’ai beau être surpris, je sais qui est responsable. Grommelant, j’essaie d’enfoncer mon visage dans mon coussin, avant de manquer de m’étouffer avec des grains de sable, et soupire de dépit en me repliant sur moi-même. Mon crâne, mon dieu. « Chamyaaaa, la ferme ! » Bon. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Puisque je suis réveillé, je n’ai plus qu’à écouter les douces paroles que ma meilleure amie a en réserve pour la pauvre fille qui n’avait rien demandé. Un léger rire m’échappe en captant le combat de regard qu’elles engagent, et je murmure un « Battez-vous pour moi. » avant de réaliser que ma voix est encore endormie, donc ma bouche retrouve très vite le sable. Dormir. Je veux dormir. Laissez-moi dormir. Pitié.
Mais non. Le problème de la meilleure amie imprévisible, justement. Sans que je n’aie eu le temps de refermer les yeux, mon corps se retrouve bousculé dans tous les sens. Bordel. Je l’aime, hein, mais je pense que si j’arrivais à me rendormir, là, je rêverai probablement de manger son cadavre. « Chamya t’es … super chiante. » Mon gémissement est couvert par son cri, qui me déchire le crâne en passant, et je rouvre doucement les yeux pour la regarder s’éloigner. Elle a l’air … énervée ? Non, c’est ridicule. Je soupire doucement et entreprend de m’asseoir correctement en fouillant mes poches pour retrouver mon paquet de cigarettes. « Non mais ça va pas bien hein. Bordel de merde. Tu veux pas avoir un minimum de respect et arrêter de gueuler sur les gens dès le matin juste parce que tu t’es tapée un mauvais coup ? C’est pas de ma faute si tu choisis mal. » Dormir. Je veux dormir. Je veux dormiiiir. Et gueuler, aussi, un peu. C’est probablement pour ça que ma voix augmente à peine. « Et elle était jolie. Je crois. Et j’ai aucun problème, je te signale que t’as pas passé la nuit seule non plus hein. Putain va vraiment falloir te calmer, tu commences à être insupportable. J’ai rien fait. »
Je me relève le plus dignement possible et jette un regard aux alentours. Bon, personne n’est dans un état très glorieux, en fait. Enfin, tout le monde n’a pas été réveillé par les cris enragés d’une lesbienne. A part ces deux là, tout près, probablement. Peu importe. Je repose mon regard sur Chamya, et serre un peu la mâchoire en voyant les marques de colère sur son visage. « Pourquoi t’es énervée ? Répond moi sincèrement, pour une fois. Sérieux, on a passé une bonne soirée, c’était drôle, on était morts, on était ensemble, on a pu baiser, on a bien dormi, et d’un coup ça va plus ? » Une pensée me frappe d’un coup, me coupant dans ma tirade, et je sens ma gorge se serrer légèrement. Non, c’est ridicule. Je ne serais pas assez con pour avoir fait ça, si ? « J’ai dis quelque chose hier soir dont je me souviens pas et toi si, c’est ça ? » C’est moi ou ma voix a baissé d’un étage tout à coup ? Reprend-toi, James. Je n’ai pas pu lui balancer que je l’aimais comme ça. Pas alors que je l’avais jamais fait jusque là. Je veux dire, j’étais mort, mais j’ai été plus mort. Non, c’est ridicule, je n’ai pas pu lui dire. Quoique. Ca expliquerait pourquoi elle est énervée. Putain non, mais je ne peux pas avoir été aussi con. Faites que je n’ai pas été aussi con. J’allume une cigarette en essayant de cacher que je suis probablement plus nerveux que jamais, et je plante mon regard dans le sien. Elle n’y verra que du feu. Au pire, je dirais que je ne savais pas ce que je disais. Ca va aller. J’ai pas tout gâché d’un coup. Mais non. Allons. Ca va aller. Mais oui. Ca va aller.
Un jour, je lui ferai manger son arrogance et ses réveils difficiles. Parce que le mien l'a été aussi, difficile, okay ? Je veux dire... Non. Mon réveil a été même étrangement assez doux, si ce n'est le froid qui est venue me caresser. Mais personne ne m'a crié dessus et, surtout, je ne me suis pas pris une bouteille d'eau en plein visage. Mais là... Là, il l'a mérité, n'est-ce pas ? À rester dans les bras de cette fille, sur laquelle j'enrage intérieurement. Si je pouvais émasculer James, je le ferai probablement. Il ne pense qu'avec ce qui lui pendouille entre les jambes, et j'en oublie même totalement que j'ai parfois la même façon de faire que lui. J'en oublie que moi-même, je ne pense qu'avec ma vulve, et que je ne peux indéniablement pas lui reprocher de vouloir profiter de sa jeunesse. Alors pourquoi je ressens le besoin de l'engueuler ? Après tout, c'est vrai, il n'a rien fait de mal. Concrètement. Pour une fois. Et pourtant, ma colère ne fait qu'augmenter lorsque je l'entend dire « Battez-vous pour moi. » J'ai envie de lui faire avaler tout le sable de cette plage artificielle à la pelle, sans lui laisser le temps de reprendre son souffle. Il m'agace sérieusement. Surtout dans certains moments, comme ceux-là... « Alors toi, la ferme. » que je lui siffle entre mes dents en le regardant. C'est probablement ma façon de lui parler qui fait fuir sa conquête, d'ailleurs.
Naturellement, je ne m'arrête pas là. Je suis déjà en train de le secouer et de lui hurler dessus, et je prend un malin plaisir à le faire. Il fini par se redresser – et il a plutôt intérêt – tandis que ma mâchoire ne se desserre toujours pas. Je suis énervée, et ça se voit. Je sors une cigarette de mon paquet, que j'allume nerveusement en rêvant secrètement de le cramer avec le bout rougie du tube blanc. Juste pour qu'il sache ce que ça fait, d'être blessé par une personne qu'on aime. Au fond, je me trouve ridicule. Ce n'est que mon meilleur ami, bien sûr qu'il a le droit de coucher avec la personne qu'il veut... mais l'idée m'est insoutenable. Je voudrais parfois pouvoir l'enfermer dans une petite boite pour qu'il ne soit plus qu'à moi. C'est ridicule, je sais, mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir envie qu'il m'appartienne. À moi, et uniquement à moi. Pas à une inconnue quelconque que je déteste sans même la connaître. Il parle, et je commence à trembler légèrement de colère. « … tais-toi. » Je n'ai pas d'autres arguments à avancer ; il a presque raison. Mais je ne suis pas en train de gueuler parce que je me suis tapée un mauvais coup. Je suis en train de gueuler parce que... parce que je ne suis pas capable d'assumer le fait qu'il ai le droit d'avoir une vie sexuelle active, parce que cette idée me rend folle. Il enfonce le couteau dans la plaie, en soulignant le fait que je n'ai pas non plus passé la nuit seule, et je le déteste de faire ça. « Bien sûr que t'as fait un truc. Tu fais TOUJOURS un truc. » Je me défend comme je peux, même si je n'ai aucun argument. J'aurais pu faire preuve de bonne foi, m'excuser de l'avoir réveillé comme je l'ai fais... mais non. Définitivement, non.
Il se relève, et je croise les bras, mettant ainsi comme une sorte de barrière entre nous. Hors de question qu'il m'approche, et il ne le fait pas d'ailleurs. Ce qui, ironiquement, m'énerve encore plus. Il parle, je ne l'écoute qu'à moitié, et me refermant encore plus – oui, c'est possible, il n'y a qu'à voir le regard que je lui lance. Et je vais pour lui répondre, quelque chose de bien acide, avant qu'il ne se coupe tout seul la parole. Et, malgré moi, je lâche un rire cynique. « T'es vraiment un gros con. » Je vois bien qu'il se sent mal. Et j'en profite un peu, laissant planer un silence, avant de soupirer. « Pourquoi tu l'as baisé ? Non. Attends, ne répond pas à cette question... Je reformule ; pourquoi t'as pas pris la peine de la virer après l'avoir baisé ? C'est quoi ton problème ? Tu tenais absolument à ce que je vous vois ensemble, c'est ça ? T'es vraiment un... T'es un connard, voilà ce que tu es, James. T'es un connard égoïste ! Tu SAVAIS que j'allais m'énerver. Je suis sûre que tu savais. Et je suis sûre que t'en as bien fait exprès ! C'est ça, ça t'amuse, en fait ?! »Mauvaise foi – 1, Chamya – 0. Ce n'est même pas de la paranoïa... J'ai juste besoin de déverser ma colère quelque part, et je la déverse sur lui, sans même prendre la peine d'être cohérente.
Et puis, je m'arrête et je le regarde. « Pourquoi t'as tellement peur d'avoir fait de la merde ? Tu me caches un truc ? » Mon ton est clairement suspicieux. Là, c'est de la paranoïa. De la paranoïa mêlée à de la peur. Qu'est-ce qu'il me cache ? Pourquoi il me cache quelque chose ? En déglutissant, je viens prendre une longue taffe sur ma cigarette tout en le fixant. Et là, au fond de mon ventre, c'est une petite boule d'angoisse qui se met à grossir.
Elle se défend. Bien sûr qu’elle se défend. Et c’est brouillon, en plus. Elle crache que je fais toujours un truc, et je soupire de nouveau. Un jour béni, les gens arrêteront de crier sans expliquer ce que j’ai fait pour mériter ça. Un jour béni, Chamya arrêtera de se comporter comme une folle furieuse du jour au lendemain sans raison. Je me relève, et son regard me fait clairement comprendre que je n’ai pas intérêt à dire quelque chose de stupide. C’est vrai que j’aurais pu baisser les yeux et la fermer, à ce moment là, au lieu de continuer à parler. Mais bon. Je ne vais pas me laisser agresser de bon matin, quand même. Pour la gloire. Au pire, bon, elle me frappera, et elle se calmera. Avec un peu de chance, je pourrais même l’utiliser comme esclave toute la journée si elle culpabilise un peu trop. Après tout, je tuerai pour un café, là.
Mais je m’arrête moi-même, et un silence plane entre nous pendant qu’un scénario entier se déroule entre mes oreilles. Et si je lui ai dit, qu’est ce que ça fait ? Bon, ce n’est pas comme si je m’attendais à une réaction positive, c’est beaucoup trop con pour ça, mais je dois dire que je ne pensais pas que ça l’énerverait à ce point. Est-ce-que j’ai gâché notre amitié à cause d’un verre de trop ? Est-ce-qu’elle va m’envoyer une gifle en hurlant que je suis un gros con et partir ? Peut être qu’elle est déçue. J’étais censé être son ami. Quelqu’un sur qui elle pouvait compter. Pas un abruti qui tombe amoureux d’une lesbienne. Si elle sait, on pourra plus jamais être comme avant, pas vrai ? Peut être que je vais la dégoûter. Peut être qu’elle va se sentir trahie. Bordel, j’ai tout gâché. Mon cœur se serre de plus en plus, pendant qu’elle reprend la parole, et je retiens une envie de vomir. Je crois que j’ai battu un record de débilité, tiens. « Bordel mais de quoi tu parles ? » Ma voix n’est plus qu’un murmure. Reprend toi, merde, c’est ridicule. J’articule tant bien que mal la question qui me brûle les lèvres, et ressent aussitôt l’envie brûlante de me frapper la tête avec une barre de fer. Mais tais-toi. Tais-toi bordel. Fer.me. la. Elle parle de nouveau, et c’est comme si je m’étais pris trois gifles d’un coup. Son ton est passé de colère à suspicion si brutalement que je commence à avoir du mal à soutenir son regard. Oh, bien joué James, bravo. Elle ne savait rien, et à cause de toi, elle se pose des questions maintenant. Je me déteste. Je me déteste tellement.
Bien. Reprendre son calme. Analyser la situation. Ne surtout pas se jeter dans la mer pour essayer de se planquer sous un rocher. Ou sinon, je l’assomme, et au réveil je lui dis qu’elle s’est pris un coup et qu’elle a tout imaginé. Ca pourrait fonctionner. Enfin, ça aurait pu si Chamya avait eu un cerveau un tout petit peu moins développé. « Je … » CHUT. TU TE TAIS. Bien, je me reprends. On pioche dans ses meilleurs talents de menteur, et on détend l’ambiance. Ca va bien se passer. Je fronce légèrement les sourcils, en soutenant toujours son regard, puis hausse les épaules. « Ben non. Mais j’aurais pu genre insulter ta mère si j’avais un verre de trop, et ça expliquerait que tu te comportes comme une femme trahie par son mari. Tu deviens parano, en plus ? Faut te faire soigner, Cha’. » Bon. Le bon point, c’est que ma voix paraît tout à fait naturelle de nouveau. Je suis doué. L’inconvénient, c’est que ce mensonge là est beaucoup trop léger. Donc c’est tout pourri. Bien joué, abruti. Je lève les yeux au ciel avant d’entreprendre de retirer le sable toujours collé à mon visage, et profite de ce moment de diversion pour me constituer un visage plus détendu. Le problème avec Chamya, c’est qu’elle me connaît un peu trop bien pour que je puisse juste sortir un masque bateau et faire comme si de rien n’était. L’avantage, c’est que je la connais probablement tout aussi bien. Alors il est temps de changer de sujet, pour qu’elle n’ait pas le temps de se poser trop de questions. « Va falloir arrêter de m’insulter, par contre. Moi, cette fois – comme tu l’as si gentiment souligné -, j’ai absolument rien fait de mal. Je l’ai baisée parce que j’avais envie de baiser, et je l’ai pas virée parce que, déjà, je suis civilisé, et ensuite, tu sais très bien que j’arrive pas à dormir tout seul. En plus du fait que j’ai absolument aucun compte à te rendre et que dormir avec une meuf que je me suis tapé sans m’affoler du fait que ma meilleure amie me verra le lendemain, c’est pas un crime, et c’est même pas égoïste. Si tu voulais dormir avec moi, t’avais qu’à venir, je l’aurais virée. Alors non, ça m’amuse pas, certainement pas le lendemain du coup, et non, je savais pas que tu serai énervée, parce que t’as aucune raison de l’être. » Hum. Est-ce-que j’y vais pas un peu fort ? Bon. L’important c’est de la faire se concentrer sur autre chose, je réparerai les meubles après. Le coup de grâce. « On est amis, ça fait pas de moi ta propriété. Et pour ton information, je compte bien baiser quelqu’un d’autre ce soir, et dormir avec, et demain aussi, et le jour d’après aussi. Je changerai pas mes habitudes pour toi. Alors je préfèrerai que ça mène pas à une crise de tarée possessive tous les lendemains. Je suis pas ton chien. »
J’ai peut être un peu abusé sur le ton froid, non ? Hm. Bon, on verra bien. Je balance mon mégot pour prendre une pilule, et ferme les yeux une milliseconde en priant tous les dieux qui pourraient, avec beaucoup de chance, exister, et m’écouter, qu’elle tombe dans le panneau et qu’elle s’énerve juste encore plus. Mieux vaut la colère face à moi en gros con que la suspicion face à ce putain de secret stupide. Allez, Cha’, avale mon cinéma tout cru, sois gentille. Gueule un coup, insulte-moi, comme ça on oublie ça, et tout peut redevenir comme avant. Je sens mon cœur se serrer un peu plus, et j’ai l’impression que cette boule de stress dans mon estomac va me faire vomir. Je déglutis le plus discrètement possible, et finit par capter que je ne pourrais pas tenir un visage neutre très longtemps, donc je passe à côté de ma meilleure amie sans un regard pour aller me rincer le visage à l’eau de mer. Voilà que je retiens ma respiration maintenant. Bon, l’avantage, c’est qu’elle ne voit plus mon visage. Ah, ça faisait longtemps que je n’avais pas eu aussi peur. J’avais presque oublié à quel point je détestais ça.
J'ai l'impression, très désagréable, que cette conversation ne va pas du tout me plaire. Et pas seulement parce que j'ai attaqué James au réveil. Mais parce qu'il me cache quelque chose. Et je ne comprend pas pourquoi il me cacherait quelque chose. Nous sommes amis, non ? Et on se dit tout. Ou presque tout. Il y a des choses qu'il vaut mieux garder pour soi, des choses qui seraient trop compliquées à admettre et à expliquer. Comme le fait qu'il était possible que je sois potentiellement et très légèrement, à peine vraiment, amoureuse – ou quelque chose dans le genre, ne commençons pas à utiliser de grands mots inutiles – de ce con blond. Mais ça, il ne le saura jamais. Je suis sûre que ça me passera. Presque sûre. Complètement convaincue du contraire. Mais ce n'est pas la question. La question, là, actuellement, est de savoir ce qu'il me cache. Et pourquoi il me le cache. Je sais qu'il y a un truc. Je ne sais juste pas ce qu'il se passe, et ça me rend encore plus folle que le fait de le voir tenir une autre femme dans ses bras. Je le connais assez pour voir qu'il est assez inconfortable avec la situation dans laquelle je l'ai mis. Ou dans laquelle il s'est mis tout seul, finalement. C'est lui, après tout, qui a lancé la conversation, moi je n'ai fais que rebondir dessus. Rien de plus.
Il commence un truc, et se rétracte juste derrière. Je déteste quand il fait ça. Je déteste quand il ne porte pas sa virilité et qu'il fuit. Je déteste quand il est aussi lâche que ça. Et ma paranoïa augmente d'un cran. Bordel, qu'est-ce qu'il me cache ? J'essaie de capter son regard, de plonger dedans. Je le connais par cœur. Je veux voir s'il me ment, s'il ose faire ça... Je lâche un léger rire froid. « Et toi, t'es un menteur. » que je fini par lâcher pour toute réponse. Si ça n'avait été qu'insulter ma mère, il ne flipperait pas. Je ne comprend pas. Je déteste ne pas comprendre ce qu'il se passe. J'ai envie de l'attraper par le col et de le secouer jusqu'à ce que la vérité tombe de sa bouche, roule par terre et que je puisse la ramasser. « Et ma paranoïa t'emmerde, James. Vraiment. Tu me caches un truc, et t’arrive encore à détourner ça pour me faire passer pour la cinglée de service. Sérieux, achète-toi une conscience. Et une sincérité, aussi. » Je tire sur ma cigarette comme une damnée, je crois que mes nerfs vont juste finir par lâcher. C'est dingue à quel point il peut réussir à me faire péter un câble. Et puis, il reprend la parole. Et ce qu'il dit... Bordel, mais est-ce qu'il s'entend parler, parfois ? Est-ce qu'il est vraiment sérieux ? Je serre tellement la mâchoire que je me fais mal, mais je reste dangereusement silencieuse. Ce n'est jamais bon, lorsque je le suis, il me connaît assez pour le savoir. Et je n'ai qu'à peine le temps de profiter d'un léger silence, en jetant ma cigarette plus loin pour en allumer une autre directement dans la fouler, qu'il reprend la parole.
Et ce qu'il me dit... Je sens clairement un truc qui se brise, au fond de moi. Comme un verre qu'on aurait cassé à l'intérieur de mon crâne. Ou à l'intérieur de mon cœur. Je n'arrive qu'à peine à réaliser les mots qui viennent de sortir de sa bouche. Mais dès que je commence à réaliser, ça fait mal. Ça fait un mal de chien, et ma colère s'évapore presque instantanément. Je ne sais même pas s'il a conscience qu'il me fait mal. Je ne sais pas si c'est intentionnel. Je ne sais même pas ce qu'il cherche à faire, en me crachant ces mots au visage. Je sens une larme, ridicule petite goutte, qui me roule sur la joue, et je l'essuie du pouce en tremblant. Il se casse, sans un regard pour moi. Et je reste plantée sur place, comme une conne, à sentir mon cœur se disloquer. Je suis certainement trop sensible, un lendemain de soirée... C'est sûrement ça. Je garde le silence, encore sous le choc, pendant un moment qui me paraît une éternité. J'ai même le temps de finir ma deuxième cigarette, avant que ma voix n'accepte de nouveau de sortir de ma gorge.
« Très bien. » Mon ton est tellement froid qu'il me donnerait presque la chaire de poule. « Quand t'auras des crises de manque, ou que tu seras en train de pleurer, tu sais quoi ? T'aurais qu'à aller voir tes putes, là. Si tu fais une overdose, t'as qu'à prier pour qu'elles s'occupent de toi, aussi. Moi, j'abandonne. » Je suis blessée. Clairement blessée. Et je veux qu'il ai aussi mal que moi. « J'en ai assez de perdre mon temps avec toi. Tu comprends rien, de toute façon. T'es juste bon à détruire tout ce que tu touches. C'est certainement à cause de ton problème au cerveau, là. Je m'en tape. Tu sais quoi, t'as raison. Va baiser qui tu veux, dors avec qui tu veux. Je m'en fous. »Je ne m'en fous pas. Je ne veux pas qu'il parte. Et je voudrais mettre ma fierté de côté. Mais ma gorge est tellement serrée qu'elle me fait mal, mon cœur se déchire tellement que je l'entend se rompre. Alors je veux qu'il ressente ce que je ressens. Je veux qu'il ai l'impression que le monde s'écroule sous ses pieds, comme il s'écroule sous les miens.
Victoire. Elle s’énerve. Je commence à récupérer un semblant de respiration. Bon, certes, elle a aussi capté que j’avais menti, mais elle est énervée. C’est déjà ça. La colère, ça s’efface à la gomme. Les confessions, c’est indélébiles. Je la vois consumer sa cigarette plus rapidement que jamais, et profite de ses nerfs à vifs pour parler. En fait, la technique, c’est de ne pas lui laisser le temps de répondre. Parce que si elle commence à se recentrer sur le problème de début, je suis foutu. Alors j’essaie de la toucher, vraiment. Quelque part où ça fait mal. Pas trop mal, juste assez pour qu’elle m’insulte d’abruti et se barre en coup de vent. Un truc que je pourrais rattraper demain en lui apportant un bouquin poussiéreux sur les tableaux, quelque chose comme ça. Le silence entre mes deux tirades me fait comprendre que j’ai atteins mon objectif. Elle est folle de rage. Parfait. Folle de rage, c’est bien aussi. Un peu plus long à réparer, mais réparable malgré tout. Je finis ma tirade, et laisse le silence qu’elle ne se décide pas à rompre prendre sa place en essayant de retrouver mon calme. C’est fini, ça va bien se passer. Elle est trop aveuglée par la colère pour réfléchir encore. Elle ne captera pas à quel point je peux l’aimer, continuera à me traiter de gros con cent fois par jours, et j’emporterai ce secret stupide dans la tombe. Tout ira bien, maintenant. Le malheur est évité. Tout rentre dans l’ordre. Ce silence doit être indicateur de tempête. Elle va crier. Elle va hurler, me pousser dans l’eau, et peut être même essayer de me noyer. Je me surprends à avoir un léger sourire amusé à cette idée. Ce serait ironique, quand même. Chamya qui me tue parce que j’ai essayé de lui cacher que je l’aimais.
Mais quand le silence est coupé, ce n’est pas par un cri. Je me fige presque aussitôt, alors qu’un simple « très bien » semble fendre l’air chaud qu’il traverse pour se planter pile dans mon crâne. Qu’est ce qui lui prend ? Pourquoi est ce qu’elle est aussi froide ? Pourquoi est ce qu’elle ne crie pas ? Pourquoi est ce que je ne l’entends pas s’approcher pour me frapper ? Ma gorge se serre de nouveau, à peine, comme pour me prévenir que je ne vais pas apprécier la suite. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Que quelqu’un m’explique. Et elle parle. Et au fur et à mesure qu’elle parle, mon cœur se serre un peu plus. Comment ça, j’abandonne ? Mais je voulais juste l’énerver. Pas la faire fuir. J’ai fais ça pour éviter de la faire fuir, justement. Il y a comme un bourdonnement dans mes oreilles, et je bénis le ciel d’avoir eu la présence d’esprit de lui tourner le dos avant qu’elle ne parle, parce que je crois que mon visage se décompose. J’ai à peine le temps d’essayer de retrouver le don de parole qu’elle reprend, avec ce même ton. Mais … Mais qu’est ce qu’elle dit ? Je. Mais. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas, mais putain, ça fait mal. J’essaie d’ordonner à mes paupières de cligner, ou à mes mains d’arrêter de trembler, mais le bourdonnement dans mon crâne ne fait qu’augmenter alors que ma vue se trouble, et j’ai l’impression qu’une main glacée a agrippé mon cœur le plus fort possible jusqu’à ce qu’il explose de tous les côtés. J’ai l’impression qu’on m’a frappé une centaine de fois dans la poitrine. Ca fait mal. Je ne comprends pas. Qu’est ce que j’ai fait de mal, bordel ? Pourquoi est ce que … Pourquoi est ce qu’elle s’est mis à penser comme ça, d’un coup ? Pourquoi est ce qu’elle dit des choses comme ça ? J’ai … Je voulais pas détruire ça, pourtant … Je comprends pas, j’ai … J’ai essayé de sauver les meubles …
Je ferme les yeux, brutalement, comme si mon corps revenait à la vie au moment où j’ai trop mal au cœur pour ressentir vraiment quoique ce soit, et les larmes qui y étaient bloquées coulent sur mes joues avant que je ne les essuie rapidement. Bien. Elle s’en tape, de toute façon. Et puis c’est de ma faute, bien sûr que c’est de ma faute, c’est toujours de ma faute. Même essayer de faire bien les choses, ça me réussit pas, visiblement. La colère vient remplacer le vide formé au creux de mes côtes, vicieuse. Je ne sais même pas si je suis énervé contre elle ou contre moi. Contre elle, pour me balancer tout ça comme si ça ne m’atteignait pas, et contre moi, parce que si elle le dit alors que je fais de mon mieux avec elle, ça doit être vrai. Et puis merde. De toute façon, on ne peut pas changer les choses. Je me retourne, pour repartir vers elle, et je ne crois pas avoir déjà été aussi énervé de ma vie. C’est à peine si je peux réfléchir. Il y a comme un écran rouge devant mes yeux, et je n’arrive pas à voir autre chose qu’une silhouette floue, alors que sa voix glaciale tourne comme un disque rayé dans mon cerveau. Je capte à peine que ma main se lève, et que son dos rencontre la joue de Chamya avec un grand bruit. Je capte à peine que je tremble, et je n’arrive pas à savoir si c’est la rage, ou le trou dans mon cœur, qui fait réagir mon corps comme ça. Je m’en fiche. De toute façon, elle s’en tape. Mes dents grincent, alors que ma gorge se desserre juste assez pour laisser passer ma voix, et j’ai l’impression que les mots sortent de ma bouche sans que je n’aie formé quoique ce soit avant dans mon cerveau. « Très bien. Casse-toi, alors. Qu’est ce que t’attends ? J’ai pas besoin de toi. T’es rien pour moi. T’es rien de plus qu’un putain de passe-temps qui a dégénéré. Tu m’amuses plus. De toute façon, t’es une merde. T’es brisée, tu te complais là dedans, et t’attends que quelqu’un vienne te sauver comme tous les autres. T’es faible. Tu mérites même pas de vivre. Je sais pas pourquoi j’ai perdu autant de temps avec toi. »
Quelque chose, au milieu de la colère, au milieu de ce trou qu’elle n’a fait qu’agrandir un peu plus, au milieu de mon envie, de mon besoin d’essayer de l’atteindre au milieu de son indifférence, agit de nouveau sur ma gorge comme un étau, et les larmes recommencent à rouler en cascade sur mes joues sans que je ne puisse rien faire pour les arrêter. C’est un « Je te déteste, bordel de merde. Dégage. » presque étouffé qui s’échappe de mes lèvres, et je manque de m’écrouler. C’est la rage qui me fait tenir debout, je crois. Et c’est l’amour que je lui porte qui essaie de me briser. Bordel. Il a fallu que je tombe amoureux, hein ? J’avais pas retenu la leçon ? Non, ben non. J’ai mal au cœur. J’ai envie de vomir. Je voudrais qu’il existe un trou, un minuscule trou, où on puisse enfermer nos cœurs à double-tour, et plus jamais rien ressentir. Rien. Même pas ce putain de vide.
Nous allons trop loin dans nos mots. Beaucoup trop loin. Et cette fois, c'est de ma faute. C'est la douleur qui m'a fait parler, qui a m'a fait dire des choses que je ne pense pas réellement. Comment je pourrais abandonner James un jour ? Comment est-ce que je pourrais seulement imaginer une seule seconde de mon existence sans lui ? Il est mon âme-sœur. Il est mon meilleur ami. Il est tout ce qui construit mon monde. Même si je le voulais, même si j'essayais, je serai incapable de vivre sans lui, de me réveiller sans lui le matin, de m'endormir sans lui le soir, de sortir de mon lit en sachant qu'il ne sera plus là. James est mon moteur. Mon oxygène. Mon monde. Comment je pourrais sincèrement avoir envie de détruire mon monde ? En le blessant, je commence à comprendre. Je commence à capter que tout ce qu'il a dit n'était que pour me mettre en rage. Je me déteste de ne pas avoir compris plus tôt, de ne pas être entrée dans son jeu plus tôt, de ne pas avoir rit au lieu de dire tout ce que je viens de dire, ou de ne pas l'avoir giflé en lui disant qu'il n'était qu'un abruti fini. J'aurais fait la gueule, un peu, mais il aurait suffit qu'il vienne blottir son visage dans mes cheveux pour que j'oublie tout. Parce que c'est ça, notre relation. C'est plus fort qu'un simple accrochage à cause d'une pétasse et d'une paranoïa mal placée, n'est-ce pas ? Je ne veux pas avoir tout gâché parce que j'ai été trop conne pour comprendre qu'il essayait de détourner la conversation.
Il s'approche de moi, et me gifle du dos de sa main. Son dédain me fait plus mal que le coup, la colère que je vois dans son regard ne fait que serrer encore davantage ma gorge. Les mots qu'il me crache me font baisser le regard. Je ne sais même pas comment j'arrive encore à retenir les larmes qui menacent à tout moment de m'échapper. J'écoute, j'essaie de ne pas perdre de vue le contexte de cette conversation. Il m'a blessé, je l'ai blessé, il cherche à me blesser. Je crois que c'est ça. Je crois que si je rentre dans son jeu, ce ne sera qu'un cercle vicieux qui nous entraînera vers le fond. Et je ne veux pas le perdre. Il est plus important que ma fierté, il est plus important que la douleur qui me broie tout à l'intérieur, il est plus important que les mots qui sortent de sa bouche. Et je ne crois pas à ce qu'il dit. Parce que je le connais. Parce que je connais notre relation. Parce que je lui fais confiance, et parce que j'ai confiance en notre amitié. Je sais qu'elle n'est pas factice. Je sais qu'elle ne peut pas s'arrêter aussi brutalement, à cause de rien. Il pleure, et cette vision parvient à la fois à recoller les morceaux de mon cœur et à le disloquer de nouveau. Ma gorge me brûle à force d'être serrée et, à force de se contracter, mon estomac me donne brutalement envie de vomir. Il dit me détester. Il me dit de dégager. Et les larmes m'échappent enfin, brûlant presque mes yeux sans que je ne prenne la peine de les essuyer. « Non. » dis-je alors, fermement malgré ma voix qui tremble. Non, je ne partirai pas. Non, je ne laisserai pas cette histoire se gâcher comme ça.
« Ça... suffit... » Je parviens à articuler ces mots entre mes sanglots. Je ne sais même pas par quel miracle je tiens encore debout. Je m'approche de lui, lui tient les poignets pour ne pas qu'il me repousse, avec assez de conviction pour lui faire comprendre que je ne reculerai pas. Et mes mains glissent vers les siennes, jusqu'à ce que je sente ses paumes contre les miennes et que j'entrelace nos doigts en collant nos corps l'un à l'autre. Je me fiche d'être lesbienne, je me fiche que ce soit un homme, je me fiche d'avoir conscience qu'il ne se passera rien de plus entre nous... J'approche mon visage du sien, et mes lèvres viennent chercher les siennes dans un baiser désespérément passionné, presque douloureux tant j'essaie de faire passer tout ce que je peux ressentir à travers lui. Je veux qu'il comprenne. Je veux qu'il n'y ai pas besoin de mots pour qu'il comprenne. Je veux désamorcer cette situation. Je veux pouvoir rester près de lui. C'est tout ce que je demande...
Je parle, et je capte à peine ce que je dis. Je capte à peine que les mots que je prononce sont horribles, et que je pourrais briser notre amitié du jour au lendemain simplement parce que je suis incapable de prendre sur moi sous prétexte qu’elle m’a blessé. Je la déteste. J’ai vraiment la sensation profonde que je la déteste. Que je voudrais pouvoir la prendre par la gorge et serrer jusqu’à ce qu’elle suffoque sous mes doigts, que je voudrais pouvoir être capable de la faire taire définitivement pour qu’elle ne puisse plus jamais me blesser, pour que plus personne n’en soit capable, pour que tout ce qui est dangereux pour mon cœur disparaisse une bonne fois pour toutes. Mais j’en suis incapable. J’en suis incapable, parce que même si je me laissais porter par la colère et que je réussissais à la tuer, je suis persuadé que ça me tuerai. Je peux peut être lui donner la mort, mais je ne peux pas vivre sans elle. Ironique, non ? J’ai besoin d’elle pour exister. Pour vivre vraiment, pas juste attendre que ça passe. Et puis ce serait quoi, un monde sans elle ? Ca ressemblerait à quoi ? Cette simple pensée me donne envie de vomir, et m’empêche de réaliser que je me suis mis à pleurer, comme si puisque briser ma relation avec la personne la plus importante du monde n’était pas suffisant, il fallait aussi que j’y laisse ma fierté. Bordel, je la déteste. Je voudrais qu’elle souffre, pour ce qu’elle a fait, et en même temps, je ne souhaite que son bonheur. Je voudrais qu’elle pleure, là, devant moi, et je voudrais qu’elle me rie au nez. Je voudrais qu’elle parte, qu’elle s’en aille, que cette relation trop belle pour être vraie s’arrête une bonne fois pour toutes, pour qu’on ne puisse plus se faire de mal, et je voudrais la serrer dans mes bras et la supplier de me pardonner. Je la déteste, mais putain, je l’aime beaucoup trop.
Je sais qu’elle se retient de pleurer. Je la connais, je sais quand elle a envie de pleurer, quand elle a envie de rire, quand elle a envie de crier. C’est comme si je connaissais chacune de ses expressions mieux qu’elle, et inversement. Comme si on était deux faces d’une même pièce. Ironiquement, ça voudrait aussi dire qu’on est destinés à ne jamais être côte à côte, donc je suppose que ça correspond plutôt bien à ce qu’on est. Etait. Ce qu’on était. Tout est fini, de toute façon. Des larmes coulent sur ses joues, et j’essuie les miennes rageusement en me faisant la réflexion stupide que même quand elle pleure, elle est magnifique. Il faut que je parte. Il faut que je parte avant qu’elle parte. Il faut que … Son simple « non » me stoppe dans mon mouvement pour partir, et je me fige légèrement. Je crois que c’est le ton de sa voix qui m’a arrêté. Comme si elle me hurlait que j’étais débile d’avoir cru à ce qu’elle disait. J’essaie de parler, mais sa voix résonne de nouveau. Je ne veux pas pleurer. J’en ai assez de pleurer. Il faut que je parte, putain. C’est maintenant ou jamais. Mais pendant que je tergiverse, elle vient attraper mes poignets, et je n’ai même plus la force d’essayer de la repousser, alors je détourne le regard pour ravaler le plus de larmes possibles. « Fous moi la paix. » J’ai la voix pleine de sanglots. Bien joué, James, très crédible. Je sens son corps contre le mien, et mon cœur se resserre un peu plus pendant que mes yeux se ferment le plus fort possible. « Arrête … » Ca me fait mal. Ca me fait mal de l’entendre sangloter à cause de moi, et ça me fait mal de la sentir si proche de moi. Je voudrais juste pouvoir l’embrasser, une fois pour toutes, lui dire que je l’aime, et qu’elle me réponde qu’elle m’aime aussi, qu’elle n’a jamais été attirée par les filles, qu’elle n’aura jamais besoin de rien d’autre, que je lui suffit, et qu’on vive heureux jusqu’à la fin des temps. Je voudrais, pour une fois dans ma vie, que toutes ces histoires débiles que j’ai jamais réussi à gober sur le grand amour et les fins heureuses soient vraies, et que Chamya, ce soit mon petit miracle à moi. Mon cœur loupe un battement tandis que je sens une pression sur mes lèvres, et je ravale mes larmes en gardant les yeux fermement clos pour l’enlacer contre moi en répondant à son baiser. Je ne veux pas rouvrir les yeux. Quelque part, dans ce baiser, j’ai l’impression qu’elle m’aime. J’ai l’impression que je suis moins fou.
Mon cœur se serre et se dé-serre en boucle pendant que le baiser se prolonge, comme si on essayait de trouver un autre moyen que les mots pour se faire passer un message. Et je crois que je comprends. Je crois que je comprends qu’elle a juste cherché à me blesser, comme j’ai essayé de le faire. Je crois que je comprends qu’elle essaie de me dire qu’elle m’aime. Ou alors je suis encore en train de rêver à ce que ce conte de fées devienne réalisable. Nos lèvres finirent par se détacher, en manque d’oxygène, et je pose mon front contre le sien en laissant planer un silence, sans la relâcher. Je voudrais pouvoir la garder contre moi, comme ça, jusqu’à ce qu’on s’enracine dans le sable de la plage, et qu’on devienne des statues, deux silhouettes éternellement enlacées, pour qu’on soit immortels ensemble.
Doucement, prudemment, je rouvre les yeux, pour vérifier que c’est bien elle, qu’elle est toujours là, que je ne suis pas en plein délire ou en plein rêve, et presque tendrement, j’entreprends d’essuyer ses joues baignées de larmes. Il faut parler, maintenant. Il faut que je lui dise la vérité. Même si ça veut dire la perdre. Même si ça veut dire la dégoûter. Je ne peux pas prendre le risque que quelque chose comme ça se produise une seconde fois. Pas si ça veut dire la briser définitivement. « Je t’aime. » Ma voix est trop basse. Un petit rire gêné m’échappe, et c’est comme s’il libérait mon cœur d’un poids en même temps. Je crois que je n’ai jamais été aussi décidé de ma vie, tiens. Je m’éloigne à peine, pour pouvoir la regarder, en gobant une pilule pour me donner du courage. Allez James. Ce n’est que quelques mots. Quelques mots qui auront une énorme incidence, mais quelques mots quand même. Bordel, arrête de vouloir fuir ou tu vas la perdre.« Je t’aime. Non attends, ne dis rien, laisse moi parler pour une fois. Je t’aime vraiment. Pas juste … Pas juste comme un type aime sa meilleure amie, je veux dire. Enfin si, ça dépend de comment on voit les choses, on peut dire que je t’aime comme ça et que j’ai envie de te baiser aussi, si tu veux, mais ce serait pas tout à fait juste je crois. Même si j’ai envie de te baiser, hein, ça a rien à voir. » La ferme. Concision. Concentration. On reprend. « Peu importe, c’était pas le sujet. Je suis … amoureux de toi. Voilà, c’est dit. Je sais, t’es lesbienne, je suis un gros con, mais j’ai pas choisi ok ? Et puis j’y peux rien, moi, t’avais qu’à être moins belle, moins gentille, moins intéressante, moins amusante, moins parfaite … Je sais pas moi, moins toi. Mais je veux pas te perdre. Et je te demande rien, je te jure. Je sais que tu peux pas. Je voulais juste … je voulais juste que tu penses pas que j’avais pas assez confiance en toi pour tout te dire. Parce que c’est faux. Je voulais juste pas te faire te sentir mal. Faut avouer que c’est un échec. » Un nouveau rire gêné m’échappe, pendant que je peux de nouveau respirer. Ironiquement, j’ai l’impression que j’ai enlevé un poids de mon cœur, mais qu’il s’est rajouté à l’intérieur de mon estomac. Parce que maintenant, tout va changer. Parce que je ne peux pas espérer qu’elle me traitera comme avant après ça. Je suis vraiment trop con, putain. Je n’aurais jamais dû dormir avec cette fille, en premier lieu, et on n’en serait pas là. Maintenant, je n’ai plus qu’à me détester moi-même, tiens.
On est là, comme deux gros imbéciles, enlacés l'un à l'autre. Le temps me donne la sensation de se figer, le baiser se rompt et je rêve seulement de le prolonger. Le manque d'oxygène me fait chier, reprendre contact avec la réalité me fait chier, me rendre compte que je viens de l'embrasser, là, comme ça, de cette façon me perturbe. Je n'aime pas les hommes. Mais je l'aime lui. Depuis longtemps, maintenant, c'est évident, et ça me fait peur. Parce que je sais que ça ne mènera nulle part, parce que je suis juste sa meilleure amie, parce que j'aime les femmes, parce que nous deux, ça ne sera pas possible. Parce qu'il ne doit certainement pas ressentir pour moi ce que je ressens pour lui. Le temps me semble toujours figé, alors que je le sens essuyer mes larmes. La tempête est passée. La tempête qui aurait pu nous détruire tous les deux. Malgré moi, je soupire de soulagement, et mon corps se détend un peu. Je ne le perdrais pas aujourd'hui. Et je ne veux jamais avoir à le perdre. Je crois que c'est la chose qui me fait actuellement le plus peur au monde, de le perdre. Qu'il me remplace, ou qu'il m'oublie. Qu'il s'en aille, qu'il me laisse aussi seule et paumée que le jour où nous nous sommes connus. Parce que je ne saurais plus vivre sans lui ; je n'ai aucune idée de comment j'ai réussi à vivre sans sa présence, avant notre rencontre.
Il me dit qu'il m'aime, et son rire gêné bouscule le mien. J'ai envie de lui dire que moi aussi, mais ma gorge est encore trop serrée pour que je parvienne à dire quoi que ce soit. Il s'éloigne un peu, et instinctivement, je le retiens autant que je peux. J'ai l'impression que si je le lâche, il s'envolera loin de moi, comme un ballon gonflé à l'hélium. Qu'il partira droit dans les airs, qu'il parcourra des kilomètres qui nous sépareraient et que je ne le verrais plus jamais. Je crois que je débloque un peu. Mais je ne le lâche pas, gardant sa main dans la mienne presque trop fermement. J'ai envie d'une ligne, juste pour me détendre, mais je ne veux pas le lâcher. Lui prend une pilule, et j'hésite à l'imiter. Mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir davantage qu'il reprend la parole. Qu'il me redit qu'il m'aime, et mon cœur loupe un léger battement. J'ouvre la bouche, le son manque de sortir, mais il l'enferme à l'intérieur de moi en me demandant d'écouter, simplement. Alors, j'écoute. Et les mots sortent de sa bouche, à la fois trop lentement et trop rapidement. Je suis perdue, je ne comprend rien à ce qu'il dit... et puis, je fini par comprendre. Et mon cœur loupe un deuxième battement. Il est amoureux de moi. J'entends encore l'écho de cette phrase, alors qu'il continue de parler. Je ne l'écoute plus, je m'en fous. Il est amoureux de moi. J'oscille dangereusement entre une joie intense, profonde, si violente qu'elle manque de m'étouffer et une peur qui vient soulever mon cœur, mon estomac et qui manque de me faire suffoquer. Je lui lâche la main, finalement, et il ne s'envole pas. C'est moi qui m'envole. Je me recule, d'un pas, puis de deux. Mes pensées s'entrechoquent, se livrent une guerre sans merci, et je garde mon regard planté sur lui. Mon expression faciale doit certainement être particulière. Je dois donner l'air d'avoir peur. J'ai peur.
Je déglutis, avant de finir par me laisser tomber dans le sable et par préparer une ligne sur ma jambe. Je tremble, et je me force à me concentrer sur ce que je fais. Le silence s'installe, j'ai conscience que ce doit être une torture pour lui. Mais je ne sais pas si je dois dire ce que je rêve de dire. Je ne sais pas si je dois fuir. Je ne sais pas si je dois l'embrasser. Je ne sais pas. Je ne sais rien du tout, mon esprit est figé dans un flou total qui m'empêche de réfléchir. Je prend ma trace, je garde les yeux fermés. Puis je les rouvre, et je déglutis à nouveau en reposant mon regard sur lui. Il ne s'est toujours pas envolé. « James, je... » Je ne sais pas ce que je dois dire. Mais bordel, Chamya, réagi un peu.« Je... Je n'aime pas... les hommes... » Ce n'est pas ce que je voulais dire, et je déglutis de nouveau. « Non, attends... Attends... Je... Mais toi, je t'aime. Plus... Plus que... Putain... » Jamais je n'ai eu autant de mal à parler, et je fini par me relever, revenir vers lui et lui prendre un baiser passionné, pour qu'il comprenne, pour que ce soit un peu plus clair. « Me force pas à le dire... Je suis pas encore... Je suis pas encore prête à dire que je suis tombée amoureuse d'un mec. » L'art et la manière de dire les choses de façons détournées. Je détourne le regard, également. Je ne sais plus où me foutre. Et je ne sais même pas ce qui va se passer maintenant. Mais, maintenant que je l'ai dis, je répète, de manière beaucoup plus concise, sans réussir à le regarder ; « Je n'aime pas les hommes, mais je suis amoureuse de toi. » Je me rend à peine compte que ma voix n'est alors qu'un murmure, comme si je manquais d'air.
Je ne la regarde plus. Plus vraiment. Je fixe un point quelque part sur son visage, sans la regarder. Et je parle. Et je dois dire que je m’attends à tout. A ce qu’elle hurle, à ce qu’elle me rie au nez, à ce qu’elle nie tout en bloc, à ce qu’elle me dise quelque chose comme « t’es mignon mais ça va pas être possible », ou à ce qu’elle reste juste sous le choc pendant plusieurs minutes. Je suis bien conscient qu’elle ne va pas hurler de joie. Ce serait absurde. Au moment où j’ai compris ce que je ressentais pour elle, de toute façon, j’ai su que ça ne finirait pas en happy ending. Je veux dire, soyons réalistes, non seulement elle est lesbienne, mais elle est aussi bien trop différente de moi. Ca nous mènerait où, au final, de nous aimer ? Je la détruirai probablement. Elle est trop … pas fragile, ce n’est pas vraiment le mot. Elle n’est pas fragile. Elle est … brisée, probablement. Trop brisée pour pouvoir aller mieux avec moi. De toute façon, je ne veux pas qu’elle aille mieux. C’est aussi pour ça qu’on ne peut pas se permettre de s’aimer. Je ne peux pas me permettre de l’aimer. Alors si je le dis, et qu’on met ça derrière nous une fois pour toutes, peut être que ça partira. Peut être que tout pourra redevenir normal. Je suis prêt à tout entendre, tant que tout peut être ignoré. Je m’attends à tout.
Sauf à voir cette expression sur son visage, ou ce mouvement de recul. Sans que je contrôle quoique ce soit, mon regard se plante de nouveau dans le sien, et ma gorge se serre automatiquement, comme si elle essayait de m’étrangler de l’intérieur. Pourquoi est ce qu’elle a peur ? Pourquoi est ce qu’elle s’éloigne ? Qu’est ce que … qu’est ce que j’ai dit de mal pour qu’elle se recule à ce point ? Mon cœur se met à tambouriner contre ma poitrine et le monde autour d’elle disparaît. Je devrais dire quelque chose. Je devrais lui dire que je plaisantais. Je devrais lui dire qu’il ne faut pas qu’elle y fasse attention. Quelque chose, n’importe quoi, mais il faut que je dise quelque chose avant qu’elle parte. Elle se laisse tomber par terre, et je regarde la ligne se préparer en essayant de me calmer. Je n’arrive même plus à penser. Je ne comprends plus rien. J’attrape une cigarette dans mon paquet pour l’allumer, avant de poser mon regard sur mes mains qui tremblent bien trop fort, et abandonne après six essais. Je n’arrive plus à respirer. J’ai envie de vomir. Ma vision est trouble, et mes yeux brûlent. Je ne vois plus qu’elle. Une boule en acier a pris possession de mon estomac et roule sur elle-même en me menaçant de hauts-le-cœur, je sens des sueurs froides couler sur ma peau, ma gorge s’est transformée en étau, et mon visage brûle comme si il allait exploser à tout moment. « Je … désolé … » Je n’ai même pas entendu ma propre voix. Je ne suis même pas sûr d’avoir parlé. Et je vais faire quoi, moi, si elle part ? Je serai qui, si elle part ? Comment je vais survivre, si elle part ? Pourquoi je devrais ouvrir les yeux tous les matins, si elle m’abandonne ? Sa voix s’élève, et je ferme les yeux le plus fort possible pour qu’ils ne sortent pas de mes orbites. Je n’arrive plus à respirer. J’ai l’impression que je tombe dans un énorme trou qui n’a pas de fond. Je n’entends même pas ce qu’elle dit, quand elle reprend la parole. Est-ce-que ça ressemble à ça, de mourir ? D’avoir tellement peur qu’on est incapable de comprendre quoique ce soit ? Je sens ses lèvres contre les miennes, et c’est comme si une partie de mon visage sortait de sa soudaine paralysie pour répondre à son baiser, comme si c’était la seule chose qu’il était capable de faire. Et c’est probablement le cas, d’ailleurs. Et quand elle recommence à parler, mes yeux se rouvrent, comme si chacune des choses qu’elle faisait avait un impact direct sur mes facultés motrices. Je suis amoureuse de toi.
Un nouveau silence s’est installé. Un silence nécessaire. Je ne sais plus ce que je suis censé penser. Je ne sais même plus si c’est réel. Peut être que je suis mort, après tout. J’ai l’impression de ne plus rien ressentir. Pourtant, mes bras se placent autour de sa taille, et je l’agrippe comme si ma vie en dépendait. Je ne sais pas pourquoi. Je crois que je ne comprends plus rien. A part qu’elle est morte de peur, et que je ne sais pas pourquoi. « C’est pas … C’est pas grave, Cha … » Quelques larmes de peur sont encore coincées dans ma voix, et je la relâche à peine pour pouvoir lui prendre un nouveau baiser, sans réussir à relâcher ma prise sur son haut. Et j’essaie vraiment de le rendre tendre, mais je n’arrive pas à l’empêcher de devenir passionné. J’ai attendu ça bien trop longtemps pour pouvoir laisser passer cette occasion. Mécaniquement, par pure habitude, une de mes mains descend en bas de son dos pour la rapprocher de moi, et je rouvre les yeux presque aussitôt en la relâchant. « P … Pardon je … Réflexe. Autant pour moi. Ne … Ne sois pas … Mal à l’aise. » L’atmosphère est différente. Elle a peur, et je suis perdu. On est comme deux enfants lâchés dans un sentiment qu’on ne maîtrise pas. Et je ne sais pas quoi faire pour la rassurer. Je suis incapable de la rassurer. « C’est pas … Ca veut pas dire qu’on doit changer quoique ce soit, Cha’ … On est … On peut pas être … C’est pas comme si … » Je ferme rapidement les yeux, en enfouissant mes mains dans mes poches. Qu’est ce que je raconte ? Bien sûr que si, ça va tout changer. Peu importait, au final, qu’elle soit autant amoureuse que moi. C’est juste impossible pour nous, ça. Tout ça. Je gobe une pilule, pour essayer de remettre mes idées en place, et un petit rire fatigué s’échappe de mes lèvres sans m’avoir demandé l’autorisation de le faire. « On s’en fout, non ? De toute façon, c’est pas comme si on était capables d’être en couple. On est tout cassés, qu’est ce que tu veux qu’on apporte à quelqu’un ? On a qu’à … continuer comme avant. Prétendre qu’aujourd’hui n’est jamais arrivé. De toute façon, on sera jamais ensemble, peu importe qu’on s’aime ou non. Je … Je veux juste qu’on puisse ne jamais se quitter. J’en veux pas plus. Même si tu veux te mettre en couple et te poser avec quelqu’un d’autre, ce sera pas si grave. Je m’en remettrai. Je veux juste qu’on reste ensemble. T’es lesbienne, je le savais bien avant de tomber amoureux de toi, Chamya. Alors c’est pas comme si tout ça risquait d’avoir une quelconque incidence bénéfique. On a qu’à … On a qu’à oublier tout ça, d’accord ? » C’est tellement plus simple, de juste oublier. Prétendre que ce n’est jamais arrivé. Garder la part de Chamya que je peux avoir en rêve. Celle que j’arrive à faire sourire. Pas celle en qui ses sentiments pour moi font naître cette peur. Je préfère qu’elle ne ressente rien, plutôt que ça. C’était un rêve stupide, une fable grotesque. Je veux juste me réveiller hier matin et ne jamais vivre ces confessions. C’est plus sûr pour nos cœurs.
Je n'aurais jamais cru me retrouver dans une situation pareille. Saturée d'émotions, comme si je me transformais moi-même en émotion pure. En peur. En amour. En envie. En panique. Je ne sais même plus. Je parle, mais je n'ai même pas la sensation de contrôler mes mots. Et je lui dis, je lui murmure, j'arrache de mes cordes vocales la vérité. Que je suis amoureuse de lui. Si bas que j'ai peur – ou que j'espère, je ne sais même plus – qu'il n'entende pas. Et le silence revient. Le silence, encore. Je ne sais pas s'il est bénéfique ou non. Mais je crois qu'il est obligatoire. Je crois que James et moi avons dépassé une limite dans notre relation, une limite que l'on avait sûrement inconsciemment toujours refusé de dépasser. Et je crois que c'est normal, le silence, quand on dépasse ce genre de limite. Parce qu'il faut réfléchir, encaisser, accepter... Parce qu'on ne peut pas se précipiter hors des limites, qu'il faut rester prudent. Que le silence est fait pour ça, pour qu'on reste prudent, même si on vient de dire à la prudence d'aller se faire mettre. J'ai l'impression que tout s'est arrêté. Alors, quand James s'anime et qu'il m'enlace, je sursaute, en revenant à la réalité. Je plante mon regard dans le sien, comme si j'avais besoin qu'il m'aide. Qu'il dise quelque chose. Parce que j'ai beau essayer de trouver des excuses à la présence du silence entre nous, j'ai du mal à le supporter. « C'est pas... C'est pas grave, Cha'... » J'ouvre et referme la bouche. Et j'ai soudainement envie de rire, parce que c'est absurde comme réponse. Et que dans l'absurdité, j'ai l'impression brève mais terriblement agréable de retrouver mon James. Mais les larmes qui sont coincées dans son regard m'empêchent de rire. Et son baiser me coupe le souffle, alors que j'y répond le plus passionnément du monde, les yeux fermés. Il me rapproche de lui... et me relâche. Il s'excuse. Ma tête va exploser. Je voudrais juste retourner dans ses bras, retourner contre ses lèvres, oublier le reste. Oublier que c'est bizarre, certainement.
Il recommence à parler. Je sors une cigarette, et je tremble comme une malade... J'essaie de l'allumer, et je fini par y arriver et par tirer dessus comme si ma vie en dépendait. Il cherche ses mots, et je suis incapable de l'aider à les retrouver. Alors, je me contente de le laisser les chercher. De le laisser s'exprimer sans essayer de le guider vers quoi que ce soit. Ma peur commence à se calmer, j'essaie de me raccrocher à ma rationalité. J'essaie d'analyser la situation. Et finalement, je commence à me dire qu'on panique pour rien. Pour absolument rien du tout. Parce que la vérité, les faits, c'est que nous sommes amoureux tous les deux l'un de l'autre. Et lui, il fini par trouver ses mots, que j'écoute avec plus d'attention que jamais. Il veut oublier ce qui vient de se passer. Il a l'air tellement convaincu que les choses vont devenir compliquées, maintenant... Mon cœur se serre un peu. Ce n'est pas ce que je veux, moi. Je ne veux pas oublier qu'il m'a dit qu'il était amoureux de moi. Je ne veux pas oublier la sensation de ses lèvres sur les miennes. Je ne veux pas oublier que je suis bien, avec lui. Que le seul truc de compliqué dans tout ça, c'est juste un pénis. C'est juste ça, qui fout le bordel. Si James avait été une femme, je me serai mise avec lui depuis longtemps... Et je ne veux pas qu'un phallus gâche nos sentiments. Parce qu'au fond, ça n'a aucun sens. Parce que de toute façon, être amoureux de quelqu'un, pour de vrai, depuis aussi longtemps, ça disparaît pas comme ça... Mon cerveau se réveille. J'ai l'impression que j'arrive de nouveau à respirer. La peur diminue, la boule dans ma gorge rapetisse, celle dans mon ventre s'évacue. Je tire une nouvelle longue taffe sur ma cigarette, laissant un bref silence venir s'installer. Je veux être sûre de ce que je vais faire. « T'es sûr de vouloir oublier ? » Ma voix est sortie sans mon autorisation. Et maintenant, je sais que je ne peux plus reculer. Je ne contrôle plus trop mon corps qui tremble, et qui se rapproche de lui à nouveau. Notre conversation prend des allures de chorégraphies tellement on se sépare et on se rejoint depuis tout à l'heure...
Je pose une main sur sa joue. Ma main tremble, elle aussi. Et pourtant, le calme commence à remplacer la panique en moi. Je sais ce que je fais. Je sais ce que je veux faire. J'approche mes lèvres des siennes, je ne lui laisse pas le temps de réfléchir, à lui. Je l'embrasse, cette fois tendrement, amoureusement, sans précipiter le baiser, simplement en profitant de le sentir près de moi. Je l'enlace, sans rompre le baiser. Et je reste contre ses lèvres lorsqu'il s'achève. « Je ne veux pas oublier ce qu'on s'est dit. Je veux... J'en ai marre, de juste... De faire semblant. De juste te présenter comme mon meilleur ami. De nier ce que je ressens. C'est... C'est si grave que ça, si j'ai pas envie de toi ? Je veux dire... C'est vraiment une raison pour qu'on passe... Pour qu'on passe à côté d'un truc plus fort que toutes les drogues du monde, que tous les alcools de l'univers, que le sexe même ? Regarde... Regarde l'état dans lequel ça nous mets. Imagine ce que ça donnerait, si toutes cette énergie émotionnelle était positive. Imagine à quel point on planerait... Imagine à quel point ce serait bien... Je veux vivre ça avec toi. Je veux avoir mon cœur qui bat trop fort, et mes mains qui tremblent juste parce que tu m'embrasses comme tu m'as embrassé... Je veux... Je veux être avec toi. » Les mots sont sortis plus facilement que ce à quoi je m'attendais. Et ça me libère, ça me libère tellement que j'ai envie de pleurer de soulagement. Et j'ajoute, pour que ce soit plus clair dans son esprit ; « Je veux te présenter comme mon petit-ami. C'est juste... Je veux ça... »
Au final, pourquoi est-ce qu’on se compliquerait la vie ? C’est vrai, notre relation était très bien telle qu’elle était, après tout. Je la voyais tout le temps, je vivais presque avec elle, on passait la plupart de notre temps au même endroit, on pouvait tout se dire … C’était le mieux de ce qu’on pouvait avoir. Qu’est ce qui nous attend, maintenant qu’on en est là ? Les moments de silence gênés ? Les regards jaloux qu’on ne pourra plus cacher ? La sensation qu’on a tout envoyé en l’air, le lendemain d’une soirée, sur une plage, parce qu’on est des imbéciles impulsifs ? C’est dans ces moments là, qu’un super pouvoir, ce serait utile. Ou même juste un bouton « retour » dans un coin de l’écran. Rembobiner jusqu’à la veille. Ou même juste de quelques minutes. Avant le premier soupçon de « je t’aime ». Ce serait bien, ça. Un bouton. Et un masque. Il nous faudrait un masque chacun, parce que là, on est juste deux abrutis qu’on peut lire comme des livres ouverts.
Sa voix s’élève de nouveau, alors que j’ai enfin réussi à allumer une cigarette, et je la fais tomber sur le coup. Mon regard se pose sur le mégot qui s’enfonce dans le sable, comme si tout d’un coup il était devenu plus intéressant que le reste du monde. Qu’est ce que je suis censé répondre à ça, hein ? « Oui … » Bien sûr que je veux oublier. Rien de bien ne peut sortir de ça. Je l’entends s’approcher, et mon regard reste fermement planté sur la cigarette perdue. Je ne veux pas qu’elle empire les choses. Je veux que tout redevienne comme avant. Je ne veux pas que les choses changent. On était heureux, comme ça. Je veux juste qu’on reste heureux. Alors je ne peux pas relever les yeux. Parce que je n’ai pas envie de voir son regard quand elle dira que c’est une bonne idée. Parce que je ne veux pas la voir me rejeter, même si c’est ce que je veux qu’elle fasse. Et aussi parce qu’elle était longue à allumer, cette cigarette, et que vu le stade de tremblements que mes mains ont atteint, je ne suis pas près d’en allumer une autre. Sa main se pose sur ma joue, et mon corps tout entier se met à frissonner. C’est ridicule, enfin, James, bordel, on dirait un gamin niais. Je ferme les yeux, doucement, parce que sa main tremble et que ça ne fait qu’augmenter la boule dans mon ventre. N’aie pas peur. Et brusquement, comme une énorme gifle, mon souffle est coupé alors que nos lèvres se rencontrent de nouveau, et je ne peux pas m’empêcher de rouvrir les yeux pour vérifier que je n’hallucine pas avant de répondre au baiser. Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais c’est très agréable, comme sensation. Nos bras s’entrecroisent alors qu’on décide tous les deux de s’enlacer en même temps, et un petit rire s’échappe de mes lèvres. Cette situation est absurde. Mais elle parle, alors je l’écoute. Attentivement, cette fois. Et au fil de ses mots, c’est comme si la boule de peur dans mon estomac disparaissait petit à petit. Je dois avoir l’air stupide, vu le nombre de fois où j’ouvre la bouche pour dire quelque chose et que je la referme aussitôt qu’elle recommence à parler, comme un poisson hors de l’eau. Mais au final, je ne sais pas ce que j’ai envie de dire. Je crois que je ne sais même pas ce que je ressens, en ce moment précis. C’est comme si j’avais envie d’éclater de rire, et de pleurer en même temps. J’ai très chaud, mais j’ai aussi très froid. Alors … Chamya, c’est ma drogue, en fait ? Je veux être avec toi. Je déglutis légèrement, en plantant mon regard dans le sien. Bordel, ça n’a aucun sens. J’ai l’impression d’être au bord d’une falaise, face à un oiseau qui me propose de me lancer au fond comme si c’était un service à me rendre. Mais je n’ai pas peur. Ce n’est pas de la peur. C’est juste … l’impression qu’en temps normal, si ça avait été n’importe qui d’autre que moi, je lui aurais dit de ne pas faire ça. Qu’elle méritait mieux. Qu’elle ne serait pas heureuse avec cette personne. Qu’elle se lasserait. Qu’elle ferait mieux de rester seule et de profiter, puisque ce genre de choses est fait pour les gens comme elle. Et c’est vrai, même si c’est moi. Sauf que c’est moi. Et je ne vais pas me saborder moi-même. Je veux te présenter comme mon petit-ami. Ma bouche s’ouvre et se referme de nouveau, mais je n’ai jamais eu l’intention de dire quoique ce soit, cette fois. Une bouffée de fierté vient de m’envahir comme un choc électrique. Et elle a probablement aussi grillé mon cerveau, puisque je garde juste mon regard planté dans le sien en attendant qu’elle me dise que c’est une énorme blague que je devrais faire semblant de trouver hilarante.
Quelques secondes passent, et un petit rire nerveux m’échappe, alors qu’on est toujours là, comme deux abrutis, debout, enlacés, au milieu d’une foule de gens ivres qui dorment. Doucement, mécaniquement, je pose mon front sur son épaule, et je n’arrive pas à m’empêcher de rire un peu plus. Ah, ça y est, je pète un plomb. Je deviens fou. C’est bon. Enfermez-moi. « T’es … complètement conne … » Tais toi James. N’empire pas ton cas. Tais t… Tu te tairas pas, hein ? « Je croyais que la drogue c’était pathétique, je suis un peu vexé. » Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens plus soulagé que jamais. Comme si des années entières de stress venaient de s’évaporer et que je me rendais compte que tout allait bien, d’un coup. C’est stupide. Et pourtant, je n’arrête pas à arrêter ce petit rire qui essaie de se faire silencieux. C’est probablement les nerfs. Ou je deviens peut être vraiment complètement taré. « Alors quoi, on se tient la main jusqu’à ce qu’elles deviennent moites et dégueulasse, on s’embrasse en public pour faire chier tout le monde dans les files d’attentes, on apporte le petit-déjeuner à l’autre, on se regarde dans le blanc des yeux avec un sourire bête comme deux attardés et on se présente à nos belles-familles en vue du mariage à venir ? » Mon rire nerveux se calme à ces images pour devenir plus naturel et je viens poser un baiser dans le creux de son cou avant de la regarder de nouveau. Ne pas mentir. Il ne faut pas mentir. On est bien partis, pas de boulettes. « Est-ce-que ça veut dire que tu vas me faire mon café du matin et que je pourrais te toucher les fesses sans m’en prendre une ? » C’était pas le sujet. Je pose un nouveau baiser au coin de ses lèvres, avec un petit sourire. Je crois que je suis heureux de pouvoir faire ça sans que ce soit vraiment un jeu. « Ca me plairait, de pouvoir t’introduire comme ma petite-amie. C’est niais, mais je crois que ça me rendrai fier. Je te croyais pas aussi fleur bleue, ceci dit. Et … Et on s’en fout, que t’aies pas envie de moi. Je m’en fous. » Ah tiens. J’ai menti. Je crois. Probablement. Enfin, au final, non, puisque je le savais. Mais bon. « Mais alors … » Est-ce-que j’ai le droit de le dire ? Oh et puis oui.
Je me détache un peu, pour pouvoir la regarder plus sérieusement, mais un petit sourire continue de flotter sur mes lèvres. Il faut bien passer par là. « Puisqu’on dit ça … » Putain mais James, arrête de chercher tes mots, c’est pitoyable, bordel. Il faut que je me reprenne en main, je crois que je n’ai jamais eu si peu confiance en moi si longtemps. Au moment où ces pensées me viennent, je pousse un léger soupir de dépit. « Et puis merde. Si on dit qu’on est un couple, ça veut dire que t’as pas le droit de te mettre en couple avec une meuf tant qu’on est ensemble. Faudra me quitter avant. Et si tu tombes amoureuse d’une meuf, ou que t’as envie de faire ta vie avec ou une connerie comme ça, t’es obligée de m’en parler. J’essaierai de pas la tuer. Mais je veux pas que tu la prennes en plan cul derrière mon dos si t’as des sentiments pour elle sans me le dire avant. Tu peux baiser avec qui tu veux, j’en ai rien à foutre, et c’est humain, mais si y’a des sentiments dans l’histoire j’ai le droit de savoir. Et bien évidemment on a le droit d’aller voir ailleurs, on va pas stopper notre vie sexuelle, faut pas déconner. Si tu tiens à faire des crises de jalousie, libre à toi, mais j’arrêterai pas. Et pas de conneries de « dans cinq ans on se marie et on pond un gosse ». Je veux pas. Je voudrais pas dans cinq ans non plus. Et je veux pas qu’on devienne un vieux couple niais non plus, genre qui sortent plus et qui se font des surprises à la moindre occasion. De toute façon, j’aime pas les fleurs, alors compte pas sur moi pour t’en acheter. » Ca y est. J’ai retrouvé ma voix normale. Amen. Bon, maintenant, prions pour qu’elle ne s’énerve pas. « J’ai pas fini. Les autres règles, c’est que rien ne doit changer entre nous pour autant. Je veux que ce soit toujours moi que tu viennes voir quand t’as des problèmes, comme –j’espère- ça a toujours été le cas. Et je veux pas que tu te sentes obligée de quoique ce soit envers moi. Et je veux que tu t’amuses. Alors on touche pas à la liberté de l’autre. Et t’es heureuse. Voilà. Je veux tout ça. » Je l’embrasse, après avoir repris mon souffle, tendrement, pour goûter chaque centimètre de ses lèvres, comme je n’avais jamais embrassé personne auparavant, et je sens mon cœur mitrailler ma poitrine. C’est marrant, c’est censé faire du bien, l’amour, non ? « Je t’aurais bien fait un contrat mais tu me l’aurais renvoyé à la gueule. Signe dans l’air, du coup. Et te plains pas, je suis un bon parti, j’ai le droit d’être difficile. Signe surtout que tu feras tout pour être heureuse, même si on est ensemble. » Parce que je veux que tu sois heureuse plus encore que les autres points, avec ou sans moi. Avec, ce serait mieux, mais bon. Heureusement que j’avais promis d’arrêter d’être niais.
Après la tempête, le calme. Le calme qui vient me caresser la peau, et qui fini de venir enlever le poids qui m'écrase l'estomac. Je veux juste qu'il dise quelque chose. Je veux juste qu'il redevienne James. Je veux juste que notre relation reprenne son cours, ou qu'elle évolue. Parce qu'au final, ce n'est qu'une évolution, tout ça, non ? Et j'imagine qu'on aurait dû s'en douter... Il veut oublier, mais je ne veux pas le laisser oublier. Je ne veux pas qu'il oublie le goût de mes lèvres, l'odeur de ma peau, et mon envie d'être avec lui. D'être à lui. Alors je l'embrasse, puis je parle. Je le force à ne pas oublier, j'ancre ce moment dans la réalité aussi fort que je le peux. Ce n'est pas une blague. C'est juste la vérité, c'est juste ce que je veux. Et je veux être honnête. Non seulement avec lui, mais avec moi aussi. Je ne veux plus me cacher la vérité. Je ne veux plus me voiler la face. J'ai 22 ans, j'ai le droit d'être amoureuse d'un homme, je suis la seule que ça va choquer, au final... Et puis, j'entends son rire. Ça paraît un peu nerveux, comme ça, mais il rit. Il me dit que je suis complètement conne, il me dit des trucs qui n'ont pas d'importance, et je ris un peu moi aussi. Un peu nerveusement, aussi. Avec le rire qui tremblote légèrement. Et puis, il parle encore. Il parle, et ça me détend. Parce qu'il dit des choses absurdes, parce qu'il redevient progressivement lui, parce que je le reconnais là. C'est rassurant, de le reconnaître. Et moi, je ris. Sincèrement, naturellement. « T'es bête... » Je dois lui dire un milliard de fois par jour. Et je veux continuer à lui dire un milliard de fois par jour. Je ris encore un peu plus, à la suite de ses mots. Il ne perd pas le Nord, même dans cette situation. « T'en prendre une t'as jamais empêché de me mettre une main au cul, de toute façon. » Je me détend, ça y est. Je nous retrouve... Je souris à son petit baiser, je rougis à ce qu'il ajoute. Et je lui cogne l'épaule, presque gênée. Mais c'est de la bonne gêne, pas celle qui paralyse. « Ta gueule, je suis pas fleur bleue. Gros niais, va. » Je dis ça, mais qu'il me dise que ça le rendrait fier de m'introduire comme sa petite-amie fait naître une petite pointe de bonheur dans mon ventre. Une petite pointe qui fini de totalement transpercer la peur qui était venue se loger là.
Et puis, il s'éloigne, un peu. Pas trop loin, je le retiens de toute façon. Hors de question qu'il parte plus loin que ça. Il a quelque chose à dire. Et il est plus sérieux... Je n'aime pas, quand il est sérieux. Il commence, se perd, cherche ses mots. « Puisqu'on dit ça, quoi ? » J'essaie de l'aider, à ma façon. Il fini par se lancer. Et moi, j'écoute. Et plus j'écoute, plus j'ouvre et je referme la bouche. Il me parle du fait que je doive lui en parler, si je ressens des trucs pour une fille, un jour. J'acquiesce ; je sais que ça n'arrivera jamais. Parce que je ressens déjà bien trop de trucs pour lui, parce que je veux lui offrir le plus infime de mes sentiments. Parce que c'est tout ce que je peux lui offrir, c'est tout ce que je ne voudrais jamais plus partager avec quelqu'un d'autre. Et il parle de notre non-exclusivité. J'ai la gorge qui se serre, la jalousie qui vient me chatouiller la matière grise. Mais qu'est-ce que je peux répondre à ça ? Je ne peux pas lui interdire de coucher avec qui il veut, alors que je ne serai certainement jamais vraiment capable de coucher avec lui. Je déglutis, et j'acquiesce en même temps, en baissant quand même un peu le regard. J'aurais voulu qu'on s'appartienne. Juste lui, et moi. Mais en même temps, je sais très bien qu'au moindre petit cul plaisant qui me passera sous le nez, j'oublierai totalement ces conneries d'exclusivité physique... James et moi avons ça en commun, au moins. Il fini de parler, du moins c'est ce que je crois. Car dès la seconde où j'ouvre la bouche pour essayer de m'exprimer, il me coupe la parole bien brutalement. Je crois que ça pourrait agacer n'importe qui, mais j'ai trop l'habitude du fait qu'il ai besoin de beaucoup d'espace pour exister. Et ça me plaît, finalement. La suite de sa tirade est... mignonne. Terriblement mignonne, en fait. Et je ne peux pas m'empêcher de le regarder avec un sourire et un regard attendri. Ces règles là me vont. En fait, toutes ses règles me vont, je crois. Tant que je suis avec lui, tant qu'on est libres, tant qu'on est heureux... Il m'embrasse. Il m'embrasse comme personne ne m'a jamais embrassé, comme j'ai toujours rêvé qu'il m'embrasse, et je sens mon cœur qui s'emballe, qui se contracte, se détend, se tend, sautille dans ma poitrine. J'ai l'impression d'embrasser quelqu'un pour la première fois, et je perds mon souffle, en ayant du mal à retourner à la réalité.
Sa voix revient s'infiltrer dans mes oreilles, me reconnecte à cette plage, à ce moment, et j'éclate de rire, sincèrement. Et sa dernière phrase me fait sourire, plus sincèrement que je n'ai jamais sourit. Je lui prend un baiser, je pourrais passer ma vie à l'embrasser, et j'acquiesce. Avant de faire ma signature du bout du doigt sur son torse. « Je signe. Pour tout ça. » Je lâche un nouveau petit rire. « Mais t'as pas le droit de dormir avec les meufs que tu baises. Sauf si je suis vraiment pas là. Sinon, c'est avec moi que tu dors. Tout le temps. Moi, c'est ça que j'impose. Et ton café, t'es un grand garçon, tu iras te le faire tout seul. Tu veux pas que ça change, hm ? Alors je me ferai un plaisir de t'envoyer chier le matin quand tu geindras pour avoir ton café, rassure-toi. » Je ris encore un peu, et puis j'entrelace mes doigts aux siens. « Et je veux qu'on se tienne la main au point qu'elles en deviennent moites, je veux aussi qu'on se regarde bêtement... Et je veux que le monde entier sache qu'on est ensemble, aussi. Je veux faire chier tout le monde et les éclabousser avec notre histoire. Parce qu'elle va être parfaite notre histoire, okay ? Je veux qu'elle soit parfaite. » Et lui est parfait. Je viens poser un baiser dans son cou, avant de venir me blottir contre lui en ajoutant ; « Et je te jure qu'avant d'être mon copain, tu resteras toujours mon meilleur ami. Et que mis à part le fait que je gueulerai peut-être un peu moins quand tu essayeras de me toucher le cul, il n'y aura rien qui changera. Je nous aimes, comme on est. Et je t'aime, plus que tout. Tu veux pas qu'on rentre, dis ? »
Elle rit, spontanément, sincèrement, et c’est comme si tout ce qui venait de se passer n’était jamais arrivé. Je pourrais écouter ce rire, voir ce sourire, pendant dans années sans rien faire d’autre, et ça ne me lasserait pas. Je pourrais l’embrasser toute ma vie, et ça ne me lasserait pas. C’est bizarre, quand même. Je veux dire, normalement, c’est juste une personne parmi tant d’autres, pourquoi ce serait elle qui serait la seule à ne jamais me lasser même face à des trucs aussi stupides qu’un baiser ? Pourquoi elle, particulièrement, est si différente du reste que ça ? A quel moment le monde s’est dit « ah tiens, on s’est gourés et on a mis une déesse dans ce corps là » ? Etrange. Très étrange. La sensation de son doigt sur mon torse me ramène à la réalité, et je ne peux pas empêcher un petit sourire sincère de naître sur mes lèvres quand elle annonce qu’elle signe. Je suis très probablement le plus chanceux des hommes, même si je suis aussi un énorme poisseux qui se retrouve en couple avec une lesbienne. Mais présentement, je crois que je n’en ai absolument rien à foutre. Elle parle, et je ris doucement petit à petit. Là, voilà, Chamya est de retour. Elle me dit que je devrais dormir avec elle tant qu’elle le pourra, et j’acquiesce ; de toute façon, je le fais déjà, et ce n’est pas comme si je risquais de préférer les bras de qui que ce soit aux siens. Je ris un peu à sa phrase suivante, avant de lui mordre à peine la joue. « Copine indigne. » Ce que ça fait du bien de nous retrouver. Mes doigts se mêlent aux siens alors qu’elle recommence à parler, et un sourire moqueur s’installe sur mes lèvres.
Je n’arrive pas à m’empêcher d’être fier qu’elle veuille à ce point nous afficher devant le monde entier, mais il faut bien avouer qu’elle montre un côté affreusement niais de sa personnalité que je ne connaissais pas. « Elle sera parfaite au début, après ce sera Bagdad, faut pas déconner, on se ferait chier sinon. » Elle ne sera pas parfaite. Elle est bien trop compliquée pour être parfaite. De toute façon, les histoires parfaites, ça n’existe pas. Mais on s’en fout. Pour l’instant, c’est parfait. C’est tout ce qui compte. Mon bras passe mécaniquement autour de sa taille quand elle se blottit contre moi, et je souris doucement en posant mes lèvres sur sa tempe. Qu’est ce qu’elle sent bon. Elle entend probablement mon cœur s’emballer un peu à sa déclaration, et un petit rire m’échappe alors que je descends intentionnellement ma main sur ses fesses. « Je préfère ça. C’est tout bénef’ pour moi du coup, alors ça me plaît. On annoncera tout ça ce soir, ça nous donne une excuse de plus pour faire une soirée de toute façon, et comme ça ils nous laisseront tranquille pour cette fois si on décide de rester dans notre coin. Je le dirai. J’ai envie de le dire. Et de t’afficher. » Je mets une pilule dans ma bouche, et vient lui prendre un petit baiser pour la lui donner, avant de me décaler en gardant sa main dans la mienne pour allumer une cigarette. « Et je t’aime aussi, mais il va falloir arrêter cette niaiserie, sinon je te jure que je t’enregistre et je te passe en boucle dans toute la House of Fun pour que t’arrêtes. Allez, viens. La voiture nous attend. Imbécile. » Je le sens, ce petit sourire bête qui flotte sur mes lèvres, hein. Mais je n’arrive pas à m’empêcher. Chamya, c’était un peu mon rêve lointain, celui qui ne se réalisera jamais, comme devenir astronaute ou vivre dans un château en chocolat. Et là, au final, je vis dedans. C’est étrange, comme sensation. C’est plus fort que le bonheur, je crois. C’est comme si un volcan avait explosé à l’intérieur de moi, mais dans le bon sens, pas dans le sens où ça fait mal. C’est compliqué à expliquer, mais c’est très simple à ressentir. Je reste à côté d’elle, en jouant avec sa main, alors qu’on va dans la voiture, direction la villa, et je sais, au fond de moi, que même s’il ne dure pas, je me souviendrai toujours de ce bonheur là, de ce moment là, de cette sensation qu’ensemble, on sera invincibles, immortels pour quelques temps.